« “Même la guerre est quotidienne.” Cette citation empruntée à Marguerite Duras (Des journées entières dans les arbres) nous rappelle à quel point la guerre est devenue un mot banal, une réalité sans emphase, une séance inéluctable qui peut se déclencher à chaque instant sans que cela ne ravive une émotion assez forte pour nous faire infléchir le cours de nos vies. Nous dédions largement ce numéro à la guerre, et employons le mot “Combat” en couverture pour rappeler les réalités diverses de ces conflits qui voient des hommes s’entretuer sans aucune retenue pour des territoires, des ressources ou des idéologies », écrit Benoît Baume, fondateur de Fisheye, dans l’édito de notre dernier numéro. À l’ère de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, entre Israël et le Hamas, ou encore l’Azerbaïdjan et l’Arménie, les clichés de la guerre prolifèrent et pourtant, il semble que nous ne les regardons presque plus vraiment avec attention. À rebours de cette tendance, Fisheye #63 part des images, pour tenter de comprendre ces conflits, et de retracer le fil de leur histoire.
Thaddé Comar signe la brillante couverture de ce numéro spécial, avec une photographie capturée à Hong Kong lors des évènements qui ont entraîné des milliers de personnes à manifester pour la démocratie en 2019 : ce laser vert, qui éclaire l’image, met à jour une surveillance radicale et la répression brutale d’une société qui emploie la technologie au service de la violence. De nombreux·ses artistes d’horizons géographiques et culturels divers sont ensuite à retrouver dans le cahier central de ce numéro. Leur point commun ? Chacun et chacune réalise un pas de côté, pour trouver une manière singulière de réveiller les esprits. En premier lieu, c’est Harley Weir, qui avec le très poétique Walls porte son regard sur l’inhumanité cruelle qu’apportent les murs bâtis entre les États. Rafael Yaghobzadeh montre avec Territory une réalité transposée qui nous interroge sur la nature même de la guerre, d’un point de vue troublant et novateur. Dans une perspective plus historique, Brandon Tauszik s’intéresse aux reconstitutions de la guerre de Sécession aux États-Unis. Des événements perçus comme des hommages à ces conflits qui nourrissent, en parallèle, des pensées révisionnistes et racistes. Faisant le lien entre le passé et le présent, c’est-à-dire la guerre froide et les enjeux géopolitiques contemporains liés aux agences de renseignement, Evan Hume, quant à lui, rassemble et transforme des documents déclassifiés provenant des archives du gouvernements des États-Unis. Il s’agit pour lui d’explorer, de façon critique et esthétique, la photographie au service de l’impérialisme américain. Lisa Sartorio travaille à partir de clichés de ruines, sans présence humaine, trouvés sur Internet, pour réactiver la mémoire des images de guerre. Enfin, dans After War Parallax, Orianne Ciantar Olive entremêle des paysages et des visages, immortalisés en Bosnie-Herzégovine et au Liban, pour semer le trouble et mieux interroger la manière dont nous nous identifions ou non à un conflit étranger. Les pages de Fisheye #63 se découvrent et se méditent dès à présent !