Déléguée à la photographie au sein de la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture depuis janvier 2018, l’énergique Marion Hislen milite activement pour une plus grande reconnaissance des photographes. Une reconnaissance qui passe notamment par la rétribution de leur exposition, comme l’impose la loi, et par une plus grande attention à la parité entre hommes et femmes. Cet article, rédigé par Sofia Fischer, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Elle était attendue depuis longtemps, laissée pour compte depuis plusieurs quinquennats, la Délégation à la photographie a finalement vu le jour en début d’année, quand Françoise Nyssen était encore ministre de la Culture. Et c’est Marion Hislen, ancienne directrice du festival Circulation(s), qui a été choisie pour piloter la machine. Une nomination qui officialise l’inscription de la photographie au sein de la Direction générale de la création artistique (DGCA), mais qui a aussi marqué un tournant féministe et militant pour le monde de la photographie.
Pendant ses premiers mois au ministère, Marion Hislen a commencé par mettre les femmes à l’honneur. Celle qui se définit comme une militante féministe a mis sur pied, en collaboration avec Paris Photo, le parcours exclusivement féminin Elles x Paris Photo, une initiative confiée à la commissaire indépendante Fannie Escoulen. « Attention, nous ne réinventons pas le programme. Pas de traitement de faveur, puisque les femmes photographes existent déjà : elles sont juste moins visibles que les hommes. Nous ne changeons pas le verre d’eau, ni la quantité de liquide : nous le regardons juste différemment », précise-t-elle. Pour elle, comme pour beaucoup d’autres, le mouvement #Metoo a marqué un tournant. « Nous avons été élevées dans un machisme inconscient. Sans réveil, sans prise de conscience, ça peut durer à l’infini. » Et le mouvement fait son chemin jusqu’à la photo. « Tous les décideurs de ce monde sont de plus en plus souvent interpellés – et le fait qu’ils le soient les oblige à se poser la question. C’est le début de tout. Ils pensent bien faire quand ils disent : “Je ne regarde jamais le genre.” Sauf que, au final, ils ne choisissent que des hommes. Ça veut dire, en creux, que le travail des femmes serait moins bon. Et ça, c’est inacceptable. »
La déléguée à la photographie souffle, élève la voix, touille son café à en faire déborder la tasse : le sujet l’agace. « Il faut comprendre que ce sont des dossiers passés de main en main par des hommes, choisis et sélectionnés par des directeurs, par des centres d’art dirigés par des hommes. Le pire, c’est que je pense qu’ils sont sincères quand ils disent qu’ils ne regardent pas le genre, qu’ils ne voient pas tout ça. »
© Peter Puklus
Il faut faire attention au genre
Sans parler des photographes hommes qui peuvent partir plus facilement en reportage ou en résidence que les femmes. « Le statut de free-lance est une lutte. Quand on est free-lance et femme, c’est un combat de tous les jours. Quand on considère que c’est encore la femme qui s’occupe du dîner, des lessives, des rendez-vous chez le médecin, du tutu qu’il faut acheter pour la grande, des cris la nuit, des anniversaires… Alors oui, elles produisent moins, car elles sont à la sortie de l’école à 16 heures. Il faut qu’il y ait un travail des commissaires et des directeurs d’institution ; un travail conscient pour rétablir les choses. Il faut faire attention au genre ! C’est leur boulot d’aller chercher des pépites, de s’embêter un peu ! »
Faut-il donc entendre par là que le ministère de la Culture prône une politique de discrimination positive ? « C’est vu comme un gros mot. C’est normal, on entend “discrimination”, ça ne donne pas envie. Mais appelez ça comme vous voulez, si on doit en passer par là, je dis oui! Si la société n’est pas capable d’évoluer par elle-même, alors il faut y aller au forceps. » Autre cheval de bataille de Marion Hislen: défendre le droit de présentation publique. Car, contrairement aux idées reçues, le droit de présentation (ou droit d’exposition) existe bel et bien dans la loi : tout artiste se doit d’être rétribué pour la monstration de son œuvre. L’été dernier, Françoise Nyssen avait posté un tweet réclamant que les photographes exposés à Visa pour l’Image, à Perpignan, soient rémunérés. Jean-François Leroy, directeur du festival, a annoncé dans la foulée que l’édition 2018 rétribuerait tous les exposants pour la première fois de son histoire. Marion Hislen veut élargir cette pratique à tous les événements photographiques qui « ignorent la loi » depuis trop longtemps. « Quand vous allez à un vernissage, le commissaire d’exposition est payé, comme le scénographe, le graphiste ou le traiteur. Tous, sauf le photographe. C’est une pratique qui doit changer au plus vite! »
Lorsqu’on l’interroge sur les photographes qui l’ont marquée récemment, Marion cite Alexandra Catiere, qui vient de sortir un livre revenant sur quinze ans de recherches – Behind The Glass, aux éditions Chose Commune. Un travail qui la touche et dans lequel elle trouve « une sorte de mélancolie russe ». Il y a aussi Marina Gadonneix, lauréate du Dummy Book Award 2018 à Arles, qui travaille sur la temporalité de l’image en photographiant l’instant décalé, quand l’action est passée ou à venir. Et bien sûr, Peter Puklus et son immense installation au festival Images Vevey, en Suisse : The Hero Mother – How to build a house interroge le rôle des hommes et des femmes dans la société. Un monde où la maternité resterait une activité héroïque présumée, et la paternité impliquerait une construction de foyer à protéger.
© Alexandra Catiere
© Peter Puklus, courtesy Galerie Folia
Cet article est à retrouver dans Fisheye #33, en kiosque et disponible ici.