Dans un élan sans précédent, le réseau Diagonal a décidé de relayer le festival photographique ukrainien Odesa Photo Days, dont la 8e édition a été annulée par la guerre. Au-delà de la manifestation elle-même, ce sont la photographie et les auteurs ukrainiens que la structure a choisi de soutenir à travers 13 événements dans toute la France. Cet article de Carole Coen est à retrouver dans notre dernier numéro.
Tout a été vite, très vite : « On s’est réunis et, sans attendre de soutien, on a décidé d’y aller. On s’est dit : “Les moyens, on les trouvera. On n’attend pas pour faire, parce qu’on est dans une forme d’urgence” », relate Erika Negrel, secrétaire générale du réseau Diagonal. Le 1er mars, soit quelques jours seulement après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la structure lançait son initiative de soutien au festival ukrainien Odesa Photo Days, dont la 8e édition devait s’ouvrir le 19 mai. De Strasbourg à Carcassonne, en passant par Nantes, Beauvais, Houlgate ou Nîmes, ce sont 13 expositions – dont un bon nombre dans l’espace public – accompagnées d’événements (projections, rencontres) représentant 30 photographes ukrainiens qui se déploieront jusqu’à fin 2023 en collaboration avec la fondatrice et directrice du festival d’Odessa, Kateryna Radchenko. Un « tour de force », reconnaît Éric Sinatora, coprésident de Diagonal : « En un mois et demi, on a mis sur pied une programmation qui, d’habitude, nous prend deux ans. »
Car l’idée d’abord évoquée par le réseau de reprendre telle quelle l’édition d’Odesa Photo Days a rapidement été écartée, le festival ukrainien, annuel et thématique, s’étant placé cette année sous le signe des femmes photographes. « Nous avons décidé de faire un pas de côté », raconte Céline Duval, directrice du pôle photographique Stimultania. « Avec Kateryna Radchenko, nous avons regardé tout ce que le festival avait présenté depuis trois ans. Pour Stimultania, j’ai sélectionné ce qui, à mes yeux, était représentatif du foisonnement de la scène photographique ukrainienne, que je ne connaissais pas du tout. » Le résultat en est l’exposition Parle-leur de batailles, de météores et de caviar d’aubergines, présentée à Strasbourg jusqu’au 17 septembre. Sept photographes ukrainiens y présentent leurs séries, toutes réalisées avant l’invasion – un parti pris éclectique pour, en s’éloignant des images d’actualité, raconter l’Ukraine et réfléchir sur la situation.
© Yulia Chervinska
Foisonnement de la scène photographique
Ce choix de ne pas montrer d’images de guerre reflète la vocation du réseau Diagonal. « Dans cette initiative, nous restons attachés à la ligne de force artistique du réseau, à savoir la création contemporaine, explique Erika Negrel, et nous avons travaillé sur une représentation des écritures photographiques ukrainiennes. » À l’autre bout de l’Europe, d’une voix où affleure la tension, Kateryna Radchenko abonde dans ce sens. Dans un pays où n’existe ni école ni formation de photographie, elle a créé Odesa Photo Days en 2015, à la suite de la guerre du Donbass de 2014, pour deux raisons principales : réagir à l’utilisation des images comme propagande par la Russie, et mettre au jour l’identité photographique ukrainienne. « Dans les années 1970, 1980, 1990, on parlait de photographie soviétique, rappelle-t-elle, puis, après la chute du régime, de photographie russe, ce qui est faux. Donc la question était de définir vraiment ce qu’est la photographie ukrainienne, et d’expliquer pourquoi elle n’a pas été visible jusqu’à présent. » Photographe, curatrice, mais également chercheuse, Kateryna Radchenko a aussi fortement appuyé sa manifestation sur l’éducation à l’image, rejoignant là aussi le réseau Diagonal, dont c’est l’un des piliers. « Dans le cadre de l’initiative “Stand with Ukraine”, nous accompagnons les expositions d’une sensibilisation de nos publics à la situation, annonce Éric Sinatora, qui est aussi directeur de l’association GRAPh-CMI, basée à Carcassonne. Dans l’Aude par exemple, chacune des quatre expositions donnera lieu à une soirée dédiée, tant pour présenter les artistes ukrainiens que pour faire un état des lieux de la création en Ukraine, si possible en liaison avec Kateryna. » Pour pallier l’incertitude de sa participation en direct, le réseau a réalisé une vidéo où elle présente le festival et s’exprime sur la situation.
© Elena Subach
Kateryna Radchenko a été et reste une partenaire de l’initiative, née d’un élan mutuel dont la rencontre a été facilitée par la commissaire d’exposition indépendante Yuliya Ruzhechka. « Yuliya nous avait déjà alertés sur la Biélorussie, ce qui nous avait amenés à organiser une table ronde à Arles l’année dernière, raconte Éric Sinatora. Nous nous sommes ainsi très vite préoccupés de la situation des photographes ukrainiens. » De son côté, c’est par un post sur Facebook que Kateryna Radchenko a appelé à relayer le festival, ce qui a suscité des réponses de diverses institutions et structures internationales. « Côté programmation, il y a plusieurs cas de figure, explique Erika Negrel. La plupart ont résulté d’allers-retours constants entre Kateryna et les directeurs et directrices artistiques en fonction des thématiques souhaitées par les différents lieux. Mais Negpos, à Nîmes – qui, ne faisant pas partie du réseau, s’est associé à l’initiative –, accueille dès juillet une exposition dont le commissariat est assuré par Kateryna : Body as Propaganda. Et, de par ce qu’elle vit au jour le jour, Kateryna nous a proposé une exposition collective que l’on réalise de bout en bout, Paysage présage, qui sera présentée à la rentrée à La Chambre, à Strasbourg, et dont des extraits ont été montrés en avant-première au Parlement de la photographie, début juin à Paris. »
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #54, disponible ici.
© Mila Teshaieva
© Andriy Lomakin
© à g. Vitaliy Galanzha, à d. Olia Koval
© Daria Svertilova
© Xenia Petrovska
Image d’ouverture : © Xenia Petrovska