Fou amoureux du médium photographique, Heins Evander convoque un monde à l’épreuve du temps où se croisent portraits sensibles, couleurs émotives et abstractions matissiennes.
Il y a les étreintes amicales, où les yeux se ferment, apaisés par une confiance mutuelle, et les visages tournés vers l’horizon, le regard défiant, contemplant un futur incertain. Il y a les feux des projecteurs, sous lesquels les modèles performent, et la lumière chaude d’un soleil printanier qui imprime sur les corps les ombres des arbres. Il y a les pleurs les plus honnêtes, qui déforment la peau. Il y a les baisers tendres, et puis la beauté calme de la nature, lorsqu’elle perce le goudron de l’urbain. Ces détails, ces émotions délicates, Heins Evander s’applique à les traduire en images depuis le début de sa carrière. Un projet au long cours qu’il aborde avec une passion infaillible et un goût prononcé pour les nuances – celles qui contrastent les scènes avec esthétisme, comme avec sensibilité.
Originaire de Jakarta, le photographe sino-américain a découvert le 8e art à l’adolescence, en jouant avec l’objectif de son iPhone 5. « J’étais comme un homme des cavernes découvrant le feu, s’amuse-t-il. Je shootais des trous dans les trottoirs, des lignes d’horizon, des feuilles de palmiers, mes ami·es et leur skateboard… Lorsque j’ai enfin eu un boîtier rien qu’à moi, j’ai passé des centaines d’heures à explorer les villes voisines, à prendre le bus pour pouvoir capturer tout mon environnement. Et puis un jour, il m’a paru sensé de reconnaître que j’étais tombé amoureux du médium ». Depuis ses débuts, l’auteur s’intéresse au charme de l’inattendu. Préférant partir à l’exploration du monde sans plan en tête, il recherche ce qui « paraît naturel et simple ». Une manière pour lui de mettre à l’aise ses modèles, qu’il considère comme des coréalisateurices de ses images. « Alors, on peut démarrer, et laisser briller les erreurs de parcours. Les regards fuyants, les têtes qui se penchent légèrement… La recherche de l’imparfait devient la perfection d’un instant entre deux instants », ajoute Heins Evander.
Inspirer et s’inspirer
Et pour sublimer ces « erreurs », la recherche esthétique devient primordiale. Fasciné par l’ère des premiers appareils numériques et autres Polaroïds, « leur douceur et la richesse des couleurs », le photographe multiplie les flous artistiques, efface les fonds, souligne les halos des rayons lumineux pour donner à ses clichés une charmante volupté. Un travail sur la texture nourrissant son amour des couleurs vives, né de la découverte des tableaux de Matisse. « Ses célèbres figures dansantes bleues et vertes plus particulièrement. Elles sont à la fois poétiques et oniriques et – malgré leur simplicité – parviennent à raconter une histoire séduisante, romantique, immersive avec beaucoup de style et de subtilité », commente-t-il. Un coup de foudre qui le pousse à passer des heures sur Photoshop, étudiant les différentes teintes d’une même nuance et jouant avec les ajustements pour découvrir son potentiel : de l’éclat solaire d’un jaune clair aux tons plus sombres de la lave en fusion.
Et, des créations de Heins Evander, émergent de sublimes fulgurances, des portraits sculpturaux aux hommages abstraits à son peintre favori. L’ensemble formant une mosaïque étrangement cohérente nous invite à plonger dans un univers atemporel, où tout repère s’estompe pour mieux nous charmer. « Cette notion m’intéresse énormément. Je pense que lorsqu’on souhaite créer une image qui semble tout droit sortie d’un rêve, celle-ci doit pouvoir exister en dehors du temps », confie l’auteur. Ainsi, au cœur de cette sphère singulière où se croisent « l’amour, le réconforte, l’espoir – et plus largement toutes émotions », il nous faut errer, en inspirant et s’inspirant de ces œuvres aussi délicates qu’expressives.
© Heins Evander