Fisheye Magazine : Pourquoi es-tu devenue photographe ?
Agathe Mirafiore : C’est une histoire de transmission. Mes parents sont amateurs d’art et mon père est passionné de photographie. Je pense que c’est ce qui m’a mis dans le bain. C’est devenu une évidence !
Quelles ont été tes premières photos ?
J’ai commencé à faire des photos en retournant l’appareil vers moi, à l’adolescence. Parce que c’était un moyen de me chercher et de me trouver. J’ai développé un goût prononcer pour les matières, les surfaces, la peau, ce genre de choses… Et concrètement, je considère la photographie comme un outil de compréhension du monde et de moi-même. Au départ je m’en servais au profit d’une quête identitaire, par l’autoportrait. Aujourd’hui, je m’en sers pour observer l’autre.
Comment s’est opérée cette transition entre l’autoportrait et le portrait de modèles ?
Je suis quelqu’un de très introverti et timide. Un jour je me suis dit que ça ne pouvait plus durer, qu’il fallait que je fasse des rencontres – et puis j’en avais un peu marre de me photographier. C’est bien plus intéressant ! Je passe d’ailleurs énormément de temps à les photographier, car j’ai besoin de connaître la personne que je photographie. C’est ce côté introverti qui m’a permis de me dépasser.
Comment tu définirais ton approche de la photographie ?
Instinctive et intuitive. Je suis très sensible à la présence et à l’absence – celles des lieux, des choses, des gens. L’humain est au centre de mon travail. J’aime profondément aller à la rencontre des gens que je photographie. Il y a aussi cette nécessité de garder une trace, car en fait je suis très angoissée par la perte, par l’oubli. Cette idée de sauvegarder ce qui m’est cher est importante. J’essaye de faire des images qui murmurent.
Quels sont tes sujets de prédilection ?
L’intime, la représentation du corps, le passage du temps. Parmi mes inspirations, il y a entre autres Hervé Guibert, Araki et son « Voyage Sentimental ». Nan Goldin, en particulier sa série « Sœurs, Saintes et Sybilles ». Et aussi Caroline Chevalier, ma formatrice à Arles et sa série « Dragonfly ».
Les femmes sont très présentes dans ta série « L’éternité et un jour ». Qu’est-ce qui t’inspire en elles ?
Il y a très peu d’hommes dans cette série car en fait, ça ne m’intéresse pas vraiment de photographier des hommes. Je questionne la féminité et ma propre féminité. J’essaye de me retrouver dans d’autres corps que le miens.
Comment se construit la confiance avec tes modèles ?
Je passe bien deux heures avec elles, parce que j’ai besoin d’apprendre à les connaître pour les photographier. En fait je leur prépare un questionnaire créé par Sophie Calle que j’avais trouvé dans Les Inrocks il y a 15 ans – comme je te disais, je suis très timide et réservée, donc ça m’aide à leur parler ! Ensuite, pendant la séance, je vais essayer de me faire oublier. J’essaye de les faire lâcher prise, ce qui est très dur. Certaines ont l’habitude d’être photographiées, d’autres non… Mais je les dirige assez peu au final. Je suis restée proche de quelques rares personnes. La rencontre peut être très belle et authentique, mais on ne peut pas gérer autant de nouvelles connaissances. L’année dernière par exemple, j’ai rencontré plus de quarante personnes !
Quel est le lien entre le corps et le paysage ?
C’est une série conçue comme un voyage mélancolique. Le thème du voyage m’oblige à me confronter à un extérieur. C’est une déambulation qui peut paraître illogique à première vue – justement à cause de l’accumulation de clichés hétérogènes. Mais en fait, cette déambulation est celle de mes souvenirs. Je travaille sur la sensation, l’émergence de présence, par une reconstruction et un assemblage de la mémoire. Comment est-ce que la photographie modifie la mémoire ?
Qu’est-ce que tu essayes de préserver dans ce que tu photographies ?
Des rencontres. Un moment précis avec une personne. Quant aux paysages, ce sont des endroits où j’ai grandi, dans les Alpes et où je voyage quand je rentre à Aix-en-Provence.
Avec quel type de matériel est-ce que tu travailles ?
Un vieux reflex Nikon D90 et un 50mm, que j’ai depuis huit ans. J’ai abandonné l’argentique il y a un moment maintenant, mais j’aimerais bien m’y remettre. J’ai commencé la photo en argentique avec mon père en fait.
Propos recueillis par Marie Moglia
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