« Lumières nordiques » : la création danoise s’invite en Normandie

28 mars 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Lumières nordiques » : la création danoise s’invite en Normandie

Jusqu’au 19 juin, le parcours Lumières nordiques s’installe dans la superbe Abbaye de Jumièges. Une exposition collective dédiée à la création danoise, croisant les visions – modernes et nuancées – de huit artistes contemporain·es.

À l’Abbaye de Jumièges se déroule la seconde édition de Lumières nordiques, un parcours photographique ancré en Normandie, faisant la part belle à la création des territoires du Nord. Et cette année, c’est le Danemark qui est mis à l’honneur, au cœur d’une exposition collective destinée à mettre en lumière la diversité de la photographie contemporaine du pays. « Il ne s’agit pas d’une simple exportation des artistes présents, mais d’un véritable dialogue avec notre patrimoine. Les artistes tissent des liens avec le territoire normand », souligne Gabriel Bauret, co-commissaire de l’événement. Huit séries habillent les murs de l’Abbaye, dialoguant à merveille avec les singularités esthétiques des lieux. Huit manières d’explorer le 8e art tout en repoussant ses frontières, de jouer avec la porosité entre les différents médiums. « Nous ne proposons pas une exposition thématique, mais simplement un ensemble d’artistes de la même génération. Leurs œuvres n’ont, pour la plupart, jamais été exposées en France », rappelle Gabriel Bauret.

Sur les deux étages du lieu, trônent des grands formats, happant les visiteurs dans des univers contrastés. Expérimentations visuelles, procédés anciens, art numérique… Le minimalisme végétal de Lotte Fløe Christensen, l’art abstrait et scientifique de Veronika Geiger, les cyanotypes de Emilie Lundstrøm, la randonnée déconstruit de Ebbe Stub Wittrup, les portraits dénaturés de Torben Eskerod, les grottes-blockhaus de Peter Funch, la lueur bleutée de Joachim Eskildsen et l’impressionnisme digital de Jeppe Lange croisent abstraction et documentaire, poésie et biologie, histoire et futurisme. Tous·tes font dialoguer leur propre culture avec les marqueurs normands pour construire des images résolument modernes.

© Ebbe Stub Wittrup / Courtesy Martin Asbæk Gallery

© Ebbe Stub Wittrup / Courtesy Martin Asbæk Gallery

Questionnements philosophiques et recherches esthétiques

La visite débute face aux étranges masques de Torben Eskerod – des moulages de personnes ayant véritablement existé, pris en photo puis agrandis pour donner aux visages figés une taille surréaliste. « On dit que lorsqu’elle meurt, une personne révèle son véritable faciès. Ces créations ont été réalisées par un dentiste dans les années 1940. Je les ai découvertes par hasard dans un vieux château danois », commente l’auteur. En écho à ces sculptures mortuaires se trouvent les Damaged Portraits de l’artiste, résultats d’une catastrophe naturelle : une inondation dans son studio, qui avait attaqué la surface du papier et altéré les portraits réalisés. « L’eau venait des égouts, elle a coloré mes images, laissé des traces de boue, des moisissures sur mes photos », ajoute-t-il. Oscillant entre le monde des morts et celui des vivants, Torben Eskerod interroge, à travers son travail, le passage du temps et l’érosion qu’il provoque, les traînées qu’il laisse sur le monde. Une collection aussi plastique que philosophique.

À l’étage nous accueillent les clichés picturaux de Joakim Eskildsen, pris à Skagen, une petite ville au nord du Danemark où se rencontrent la mer Baltique et celle du Nord. « Il s’agit d’un lieu très particulier qui a fasciné de nombreux peintres impressionnistes et postimpressionnistes. Cette popularité a attiré l’attention du photographe, qui développe – à l’argentique et au moyen format – une relation particulière avec la lumière », explique Gabriel Bauret. Prises en pleine nuit, dans une lueur bleutée à l’onirisme apaisant, ses images parviennent à encapsuler la splendeur du paysage, comme la vie qui anime le territoire. « Son habitude de travailler avec l’humain l’a conduit à s’inspirer de la tradition des déjeuners, par exemple, propre à la peinture », poursuit le commissaire. Une relecture contemporaine d’un espace marqué par l’histoire.

Également intéressé par l’impressionnisme, Jeppe Lenge fusionne, dans Depiction of Light, des centaines de tableaux pour créer un film d’animation hypnotique. « Je tamise la peinture à travers différents filtres de couleur, fragmentant ainsi les motifs jusqu’à les traiter individuellement (…) Le culte que les peintres vouent au regard subjectif et aux qualités de la lumière est amplifié à un tel point que le sujet se transcende en couleurs et en gestes purs », précise l’artiste. Dans l’œuvre digitale, l’abstraction domine, à l’exception de quelques rares marqueurs, quelques traces qui laissent deviner la présence humaine. Animées dans une fluidité extrême, les nuances de couleurs deviennent des vagues, des marées aux palettes évolutives qui convoquent l’émotion pure, dans cette osmose hallucinatoire.

Du documentaire à l’expérimentation, en passant par les questionnements philosophiques et la recherche esthétique, les auteurs et autrices exposé·es ne cessent de se réapproprier le médium. Autant de récits aux écritures variées dévoilant, dans cet espace superbe, la diversité des créations danoises.

 

© Peter Funch / Courtesy V1 Gallery

© Peter Funch / Courtesy V1 Gallery

© Lotte Fløe Christensen© Veronika Geiger

© à g. Lotte Fløe Christensen, à d. Veronika Geiger

© Jeppe Lange

© Jeppe Lange

© Torben Eskerod© Emilie Lundstrøm

© à g. Torben Eskerod, à d. Emilie Lundstrøm

© Joakim Eskildsen

© Joakim Eskildsen

Image d’ouverture : © Joakim Eskildsen

Explorez
La FUJIKINA Arles, quand l'art rencontre la technique
© Gregory Halpern / Magnum Photos
La FUJIKINA Arles, quand l’art rencontre la technique
Du 8 au 12 juillet 2025, la FUJIKINA, manifestation mondiale autour de la culture photographique créée par Fujifilm, revient pour une 2e...
24 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
Les membres originaux du groupe Oasis, Japon, 1994 © Dennis Morris
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
En ce premier jour de l’été, partout en France, la musique est à l’honneur. À cet effet, nous vous avons sélectionné une série de...
20 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
© Marie Meister
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
Du 7 au 12 juillet 2025, Fisheye investit la cour de l’Archevêché, lieu de rendez-vous incontournable du ()ff des Rencontres d’Arles, au...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Vincen Beeckman s’invite à Marseille
© Vincen Beeckman
Vincen Beeckman s’invite à Marseille
Pendant sept semaines, au fil de plusieurs séjours, Vincen Beeckman a sillonné la ville, non pas comme un touriste ni même un photographe...
14 juin 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Escapade, mode et photojournalisme : nos coups de cœur photo de juin 2025
Silence © Héloïse Béghin
Escapade, mode et photojournalisme : nos coups de cœur photo de juin 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
26 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Florence et Damien Bachelot © Nicolas Despis pour Fisheye.
Florence et Damien Bachelot, collectionneurs de rencontres
Avec un cabinet de plus de 1 000 œuvres, Florence et Damien Bachelot ont constitué, depuis 2004, l’une des plus grandes collections...
26 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Focus #79 : pour Rose Mihman, la beauté est picturale
05:59
Focus #79 : pour Rose Mihman, la beauté est picturale
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! En pleine préparation de l’exposition Sous les paupières closes, présentée à la Fisheye Gallery...
25 juin 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
PMA : Valentine de Villemeur et son combat pour être mère
© Valentine de Villemeur
PMA : Valentine de Villemeur et son combat pour être mère
Dans I’ve Always Wanted to Be a Mom, Valentine de Villemeur se livre pour la première fois à une approche autobiographique. Comme son...
25 juin 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet