En collaboration avec Lumières nordiques, le Musée des Beaux-Arts de Rouen accueille Trois récits de Norvège. Marie Sjøvold, Ole Marius Joergensen et Terje Abusdal, tous·tes trois norvégien·nes, livrent leur interprétation d’un territoire intime, fictionnel ou ancien. Une exposition onirique à découvrir jusqu’au 13 août 2023.
Pour sa seconde édition, Lumières nordiques prend forme autour de cinq expositions dispersées dans toute la Normandie. Ce circuit photographique fait la part belle aux artistes scandinaves. L’une des étapes s’arrête à Rouen, dans l’enceinte du Musée des Beaux-Arts, offrant alors un écho moderne au parcours historique de l’exposition Normands. Migrants, conquérants, innovateurs. « L’idée était de réunir des artistes contemporains qui s’expriment de manière personnelle sur l’idée d’introspection et de territoire. Ces trois photographes présentent des axes et démarches différentes. En les associant, une certaine poésie enveloppe leurs univers. J’aime l’atmosphère calme qui s’en dégage », explique Gabriel Bauret, commissaire général du programme Lumières nordique.
Dans Trois récits de Norvège, Marie Sjøvold, Ole Marius Joergensen et Terje Abusdal proposent une approche personnelle de la question territoriale avec des démarches photographiques qui leur sont propres. « La couleur joue un rôle important dans le processus créatif de ces artistes. Bien qu’iels soient réuni·es par une certaine contemporanéité, leurs palettes restent cependant diversifiées », précise le commissaire. Issu·es de la même génération, les trois photographes norvégien·nes présentent des projets où l’intimité s’immisce de différentes manières.
© Marie Sjøvold
Entre documentaire et fiction surnaturelle
L’exposition nous immerge immédiatement dans l’univers surnaturel de Terje Abusdal, qui avait remporté le prix Leica Oscar Barnack en 2017. Dans Slash & Burn, l’artiste rencontre une communauté de forestier·es vivant à la frontière de la Finlande et de la Norvège. Bien que la visée soit documentaire, Terje Abusdal aborde des thématiques plus souterraines et intimes : « Au 16e siècle, l’importation de toute une culture chaman a transformé cette communauté. La magie a alors occupé une place principale avec un lot de rituels qui n’existent même plus. Je souhaitais retrouver des traces de cette culture ancestrale. En prenant des bribes du passé, j’ai reconstitué une ambiance fantastique. Puis j’ai commencé à introduire physiquement la magie sur la surface de mes images à l’aide de fumée ou de feu par exemple. »
Comme un rituel mystique, Terje Abusdal brûle ses tirages puis ajoute des éléments magnétiques qui ensorcellent. Reproduite en très grand format, cette image d’une boule de feu sur un paysage frappe notre regard, ainsi que nos oreilles. En effet, un documentaire sonore vient compléter la démarche visuelle de l’artiste. Composées d’éléments de langage finnois recueillis par des linguistes, ces sortes d’incantations et de prières datent d’il y a plus de 300 ans. Terje Abusdal explique alors que ces chuchotements avaient pour intention de se débarrasser de démons.
© Terje Abusdal
Du cinéma à l’autobiographie
Puis la visite se poursuit avec le travail cinématographique d’Ole Marius Joergensen. Vignettes of a Salesman met en scène la solitude d’un voyageur de commerce, une profession en voie de disparition. Dans des clichés montés de toutes pièces où la lumière joue un rôle crucial, le photographe place un protagoniste, son oncle, au cœur de paysages crépusculaires. Trench coat, valise, chapeau… Les éléments caractéristiques de cette profession constituent un véritable portrait d’une génération qui n’existe plus. Malgré des études de cinéma, Ole Marius Joergensen ne parvient pas à devenir réalisateur. Il confie que « cette série est comme le film [qu’il n’a] jamais pu réaliser. » Tels des arrêts sur images d’un court métrage, ses visuels baignent dans un univers semblable à celui de Gregory Crewdson. Des mises en scène imprégnées du cinéma qui ne sont pas sans rappeler les peintures envoutantes d’Edward Hooper, également source d’inspiration du photographe norvégien.
Alors que ce dernier donne à voir l’intimité d’une génération qui ne perdure pas, la visite se poursuit avec le récit autobiographique de Marie Sjøvold, Réalités entremêlées. La photographe explore avec délicatesse l’espace clos de l’intimité familiale. En se nourrissant de ses propres expériences et de l’environnement qui l’entoure, elle capture des instants de vie gravitant autour des thèmes de la maternité, de l’enfance, du souvenir ou encore du sommeil et du rêve. Ses visuels nous transportent dans l’histoire de sa vie de façon discrète et subtile. Une intimité fragile dévoilée avec poésie. Ce troisième et dernier récit sonne le glas d’un voyage éclectique en terre nordique.
© Ole Marius Joergensen – Courtesy Galerie Goutal
© Marie Sjøvold
© Terje Abusdal
Image d’ouverture : © Terje Abusdal