Nous poursuivons notre engagement auprès des photographes ukrainien·ne·s en leur offrant un espace de témoignages. Après Taras Bychko, et Lada Solovyova, c’est au tour d’Oleksandr Rupeta, photojournaliste engagé, de nous livrer son récit.
« La Russie a mené une guerre dite hybride ou non déclarée avec l’Ukraine sur le territoire du Donbass pendant huit ans. Les Ukrainiens craignaient une escalade des tensions après le retrait des troupes aux frontières du pays et la reconnaissance des Républiques populaires de Donetsk et de Louhansk par la Russie. Personne ne pensait à une guerre totale. Personne ne s’attendait également à une telle cruauté de la part des Russes qui tuent des civils sans aucun scrupule.
Ma mère, comme tous les Ukrainiens que je connais, est certaine de gagner. La seule question qui subsiste est le prix qu’il faudra payer pour cette victoire.
L’image choisie montre ma mère dans sa nouvelle résidence. Elle vivait dans un village près de Kiev, à côté de la région qui a été bombardée le premier jour de la guerre. Mes parents étaient artistes. Ils étaient peintres et travaillaient dans le design graphique. Ils ont construit une maison dans la nature dans laquelle ils rêvaient de profiter de leur retraite. À la mort de mon père, elle a pris soin du logement toute seule et, depuis, elle n’a jamais voulu s’en éloigner. À présent, ma mère reste dans un appartement communautaire à l’ouest du pays. Prendre la décision de partir n’a pas été évident pour elle. Ne pas quitter l’Ukraine était un choix personnel. Elle n’a pas voyagé loin de chez elle pendant plus de trente ans.
J’ai emmené ma mère et plusieurs personnes à l’ouest de l’Ukraine. Nous sommes arrivés tard dans la nuit. J’ai pris la photo le lendemain. Ces derniers temps, j’utilise à peine mon appareil, sauf si c’est pour le travail. Mais à ce moment-là, j’ai trouvé un être, à côté de moi, qui était fatigué et confus, qui se demande de quoi demain sera fait. Je pensais que c’était une bonne raison de capturer cet instant. Ma mère réside dans cet appartement avec d’autres réfugié·e·s. Tout le monde est dans la même situation et traite l’un et l’autre avec considération. Nos relations consistent désormais à être tous les jours en contact avec les personnes que l’on connaît. Et ce, en particulier pour ceux qui ont décidé de rester dans les régions les plus dangereuses. Toutes les discussions tournent autour des lieux qui ont à nouveau été ciblés, ce qui a été détruit pendant la nuit, si tout le monde est en vie. Tous les malentendus, les conflits et les relations tendues sont en suspens jusqu’à l’arrivée de jours meilleurs.
Depuis le début de l’invasion, ma mère et moi avons commencé à nous préoccuper davantage l’un de l’autre dans la situation actuelle. Maman me dit qu’elle se réveille au moindre bruit, elle a toujours l’impression qu’il y a un nouveau bombardement. Ça ne semble pas si impensable que ça. Dans la ville dans laquelle elle se trouve actuellement, les alarmes sonnent de temps en temps. Elle espère que la guerre se terminera rapidement, et qu’elle pourra rentrer chez elle. »
© Oleksandr Rupeta