Hakawi, récits d’une Égypte contemporaine, présentée à la Cité internationale des arts dans le cadre de la Biennale des photographes du monde arabe, donne la parole à seize jeunes photographes égyptiens. Une exposition nécessaire, mêlant beauté, violence et engagement.
Drogues, couvre-feux absurdes, pollution, violence et harcèlement, notion de genre… L’exposition Hakawi, accueillie par la Cité internationale des arts dans le cadre de la Biennale des photographes du monde arabe, illustre une Égypte complexe et moderne. Pensé par Bruno Boudjelal, un photographe de l’agence Vu qui parcours depuis plusieurs décennies le monde et plus particulièrement l’Afrique, et Diane Augier, commissaire et artiste plasticienne, l’événement propose une vision brute et réaliste de l’Égypte d’aujourd’hui. Ici, pas de représentations de pyramides ou de marchés typiques, mais plutôt des récits imbriqués, formant une mosaïque de témoignages, de rencontres et d’émotions. À travers seize histoires, racontés par sept femmes et neuf hommes photographes, le pays se transforme, évolue et se dévoile, dans toute sa vulnérabilité.
Une scénographie réussie
L’exposition s’ouvre sur la série Night Walkers de Mohamed Anwar. Un travail illustrant le passage du jour à la nuit, et la liberté qu’offre l’obscurité. Comme les premières notes d’un morceau, le projet invite le visiteur dans un monde fascinant. Les clichés, collés les uns aux autres, semblent fusionner, créant un kaléidoscope aux tons chauds, représentant des silhouettes anonymes aussi proches qu’étrangères. Une scénographie convaincante sublimant le travail de l’artiste. Les couleurs vives et le monde nocturne réapparaissent ensuite au sein de I Found Home, projet de Fares Zaitoon, un étage plus haut. Ancien toxicomane, le photographe s’intéresse à la consommation de substance dans un pays percevant la drogue comme un véritable tabou. Ses clichés aux lumières fortes, tantôt froides et éblouissantes, tantôt chaleureuses et caressantes, semblent mimer l’emprise des drogues sur les hommes, aussi dangereuses que séduisantes. Un travail émouvant.
© Mohamed Anwar
À la fin du parcours, enfin, se trouve Coeurfew, un travail mené par Nada Elissa, inspiré par le couvre-feu de plusieurs mois, imposé par le gouvernement en 2013. En mêlant images et textes, l’auteure revient sur cet événement avec poésie. Véritable conte horrifique, son récit évoque les monstres arpentant la ville la nuit, empêchant les jeunes de sortir. Une composition poignante, jouant avec les notions de peur, d’enfermement et de liberté. Installation imposante, organisée sur plusieurs étages, Hakawi regorge de mises en scène travaillées, offrant une immersion dans l’univers des photographes représentés. Une scénographie réussie, portée par des sujets captivants.
Entre splendeur et effroi
« Il y a six ans, lorsque j’avais 15 ans, j’ai gribouillé “Je déteste ma vie, alors je vais me suicider… Au revoir” sur le mur de ma chambre. Par la suite, j’ai avalé des dizaines de pilules sans ordonnance. C’était ma première, mais pas ma dernière tentative de suicide »,
raconte Hesham Elsherif. Dans l’Islam, comme dans toutes les religions, le suicide est un pêché, et beaucoup de ces actes sont reconnus comme des « morts accidentelles ». Au cœur d’une introspection aussi belle que violente, le photographe s’est interrogé sur ce qui l’a poussé à commettre l’irréparable, donnant également la parole à d’autres jeunes en souffrance. Tragique et honnête, The way to hell relate les histoires de ces personnages, entre détresse et espoir, entre pensées et images. Une superbe plongée dans leur intimité.
© Hesham Elsherif
Installé en Alexandrie, Mohamed Mahdy s’intéresse aux communautés délaissées. Avec Moondust, une série monochrome et délicate, le photographe illustre le quotidien des habitants de la Vallée de la Lune, une zone résidentielle de 60 000 habitants, située à dix mètres d’une usine de ciment. Au cœur d’un territoire fragilisé, la poussière toxique semble tomber du ciel, neige néfaste et éternelle. La moitié des habitants souffrent d’asthme, d’infections, de cancers ou de troubles pulmonaires. Construit il y a plus de 70 ans sous le règne du roi Farouk, ce quartier se meurt aujourd’hui lentement, sans que les autorités ne règlent le problème. Au-delà de la beauté des clichés, Moondust met en lumière la lutte des résidents, et leur désir de survivre.
Enfin, en plein centre de l’exposition se trouve Just Stop, un véritable hymne au droit des femmes. La photographe indépendante Eman Helal y croise des images documentaires et des témoignages troublants de femmes blessées. Viols, agressions, meurtres, un rapport publié en 2013 par UN Women a révélé que plus de 99% des Égyptiennes avaient subi une quelconque forme de harcèlement – physique, sexuel ou psychologique. Pourtant, à travers cet enchevêtrement de souvenirs déchirants, c’est la réaction du public qui choque. Abandonnées, châtiées ou tout simplement traitées de menteuses, les victimes peinent à faire entendre leur voix, disparaissant dans une foule peu émue, ou derrière les protestations des familles craignant de perdre leur statut. Un projet à ne pas manquer.
Entre splendeur et effroi, poésie et réalisme, Hakawi fait le portrait d’une Égypte tiraillée entre ses trésors et ses cicatrices. Une exposition remarquable, donnant la parole à des photographes contemporains talentueux et engagés.
Hakawi, récits d’une Égypte contemporaine
Jusqu’au 28 septembre 2019
Cité internationale des arts
Dans le cadre de la Biennale des photographes du monde arabe
18 rue de l’Hôtel de ville, 75004 Paris
© Eman Helal
© à g. Ebrahim Elmoly, à d. Heba Khamis
© Hana Gamal
© Nada Elissa
© Fares Zaitoon
© Mohamed Mahdy
© Hesham Elsherif