Jusqu’au 20 septembre 2020, Julien Mignot prend ses quartiers à Clermont-Ferrand, à l’Hôtel Fontfreyde, Centre photographique. Portraits de célébrités, réflexions métaphysiques ou voyeurisme moderne… L’exposition Le Photographe et son double est une belle occasion de (re)découvrir les travaux de ce talentueux photographe français.
Grandir pour voir. « Ma mère était concierge dans une mairie, et nous occupions le logement de fonction, situé au dernier étage, sous les toits. Les très grandes fenêtres commençaient à hauteur d’un front d’homme. Pour voir dehors, il fallait monter des marches. Les grandes ouvertures donnaient beaucoup de lumière et cadraient le ciel au cordeau. Il fallait d’abord grandir pour voir ». C’est dans une petite ville, en banlieue proche de Clermont-Ferrand qu’est apparue la première obsession de Julien Mignot : voir, voir toujours plus loin. « Cette forme de curiosité a été accentuée par le territoire, complète le photographe auvergnat. Clermont-Ferrand est située au pied de la faille de Limagne et de la chaîne des Puys, un site naturel inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. La ville est une « cuvette » qui mange notre horizon, et qui crée une frustration du regard ». Et c’est ici même, au sein de la capitale historique de l’Auvergne, que nous avons rencontré l’artiste. Il y présente, au sein de l’Hôtel Fontfreyde, Centre photographique, un aperçu de son travail. Le Photographe et son double réunit cinq séries dont le fil rouge pourrait être une définition de son approche artistique. « Je ne propose ici aucune ligne formelle, car il n’est pas indispensable de rentrer dans une catégorie. Je démontre que le style dépend de l’approche et pas seulement du sujet photographié ». Immersion à travers ses lubies, et ses passions.
Cannes by night
Dans la première salle de l’Hôtel Fontfreyde, au rez-de-chaussée, c’est un peu comme si l’on parcourait le tapis rouge. Léa Seydoux, Robert Pattinson, ou encore Julianne Moore nous accompagnent dans ce Daily Cannes. Une série faisant la synthèse de cinq années de Festival de Cannes. « Philippe Azoury m’ouvrait la porte du journal Grazia et me laissait plonger dans le grand bain. Nous devions photographier quotidiennement le festival et rendre une couverture, deux portraits et des ambiances de la croisette et des nuits de liesse du Festival. Ceci pendant quatre ans pour Grazia et une année, la dernière, pour Vanity Fair », se souvient Julien Mignot. Une période des plus formatrice pour le photographe qui aura signé plus de 300 portraits. Des photos de rue complètent le panorama et donnent un aperçu du Cannes by night.
C’est en écho à son passif de voyeur (car un jour, il a eu la taille adéquate pour regarder à travers les hautes fenêtres) que Julien Mignot a imaginé Screenlove. « Je me souviens attendre l’accident, la scène de ménage, une sortie de douche, peut-être que le jeune couple du 7e ferait l’amour ce soir sans pyjamas, sans éteindre la lumière » se remémore le photographe. Dans cette salle consacrée au voyeurisme moderne, il témoigne d’un confinement volontaire : les webcams sexy. La règle est simple : « il s’agit de réunir derrière sa webcam un maximum de voyeurs qui tips avec des jetons pour déclencher ou encourager les frasques des broadcasters ». En face d’un mur d’images, de petits cubes de Plexiglas – les fenêtres. Le tout laisse entrevoir des internautes internationaux et des situations improbables où jouissance et échanges se mélangent : un personnage dans son garage, entouré d’autruches, une Américaine peroxydée jouant du ukulélé, des traders se masturbant sans ôter leur Rolex, ou encore un couple déguisé en lapin découpant des jeans sur demande. En photographiant son écran, avec plus ou moins de distance, il respecte l’anonymat des internautes et apporte de la douceur à certaines scènes incongrues. La série est, pour la première fois, montrée dans son intégralité.
On veut devenir
« À 20 ans, un peu partout, on rêve d’être musicien ». À l’occasion des 20 ans de la Coopérative de Mai – la salle de concerts et de spectacles à Clermont-Ferrand – JD Beauvallet, un des membres fondateurs du magazine Les Inrockuptibles et Julien Mignot ont reçu une carte blanche. Tous deux se sont intéressés aux Clermontois musiciens et mélomanes qu’il présente dans l’ouvrage 20 – No music, No life ! Et parmi eux Julien Mignot photographié des jeunes, eux aussi âgés de vingt ans. Pour la plupart d’entre eux, c’est la première fois qu’ils avouent à quel point la musique compte dans leur vie. Les images de Julien Mignot accompagnent les textes de JD Beauvallet, emprunts de fragilité et d’authenticité. On y rencontre Claire aka Ilustre, une nouvelle venue dans le paysage hip-hop qui convie le photographe à l’une de ses séances de sport, à 5 du matin. Ou encore Louis, en pleine fanfare du 14 juillet aux côtés de son grand-père et Lisa, une femme à tout faire devenue DJ-ette qui se fait tatouer, face à l’objectif. Chaque récit constitue la pièce d’un vaste puzzle, un arrêt sur image sur une génération en devenir. Car vingt ans « c’est le carrefour qui va nous définir, on veut être comme tout le monde et différent des autres. On veut devenir », rappelle Julien Mignot.
Après le portrait et les rencontres vient le temps du lâcher-prise. L’Hôtel Fontfreyde accueille un extrait de son projet de livre 96 Months, réalisé en dehors de ses travaux de commande. Avec ce travail mêlant sons, mots et images, établi sur huit ans, il a constitué une mémoire multidisciplinaire. Pour l’occasion, le visiteur pourra découvrir une compilation de paysages auvergnats capturés chaque hiver, alors qu’il revenait dans sa région natale pour les fêtes.
Trouver des parades artistiques
La recherche de l’horizon – une de ses obsessions, rappelez-vous – fait l’objet d’Airline. Une série où le temps s’arrête et où notre esprit divague, dans les nuages. Une recherche plastique d’où naissent des questions métaphysiques : qui sommes-nous dans ce grand tout ? Et si on pouvait voyager dans le temps ? Pourquoi donc courir après le temps alors que la vie, derrière le hublot, est déjà si belle ?
Revenons les pieds sur terre. Imaginez, face à vous Paul Rousteau, Araki, Antoine d’Agata, Nan Goldin, Annie Leibovitz, Paul Cupido ou encore Guy Bourdin réunis sur un même mur. La collection personnelle de Julien Mignot ? Un ensemble atypique, et de bon goût. Il raconte : « Je suis un compulsif. Adolescent, je découpais des images dans les magazines, et puis quand j’ai eu les moyens, je suis allé dans mes premières salles de ventes, j’ai acheté quelques photos en foire. À chaque fois que je vendais une de mes photos, je m’en achetais une… Ce n’est ni très heureux ni auvergnat comme pratique », confie-t-il. Coups de cœur, promesses de rencontres ou échanges véritables… Toutes les images exposées ici ont trouvé, à un moment donné, un écho dans sa pratique personnelle. « Je n’ai pas honte de révéler que je me suis inspiré de grands noms de la photo comme de peintres. J’ai passé du temps dans les musées, et j’ai ouvert un certain nombre de bouquins photo ! Tous les artistes réunis ici constituent une source d’inspiration fondamentale. Ma collection donne à voir les artistes qui m’ont percuté, fait chavirer, qui ont déclenché des réflexions, ou ouvert des perspectives » Et c’est entre autres grâce à eux, que Julien Mignot a tant su repousser les horizons. « J’ai collectionné des images pour me souvenir de la beauté de ce monde que je regarde s’écrouler. J’essaye de trouver des parades artistiques pour lui donner un peu de souffle, et de matière palpable, à un moment où il se dématérialise à vitesse grand V », conclut l’artiste. À travers cette d’exposition, Julien Mignot va et vient dans sa pratique photo foisonnante, et lève le voile sur ses réflexions et autres obsessions.
20 – No music, No life !, 360 pages, 30 €
Jusqu’au 20 septembre
Hôtel Fontreyde, Clermont-Ferrand
© Julien Mignot