Fisheye Magazine : Quelles sont les origines du projet A History of Misogyny que vous présentez cette année aux Rencontres d’Arles ?
Laia Abril : « J’ai photographié beaucoup d’histoires autour des femmes, de la sexualité et de l’identité à mes débuts. Mais je me suis rendu compte, il y a quelques années, que ça ne s’articulait pas. J’ai alors décidé de me lancer sur des sujets plus inconfortables et difficiles à traiter : la misogynie et le féminisme. Je voulais les aborder sous une perspective historique, parce que nous avons cette manie de laisser au passé ce qui lui appartient. »
Quel est le propos de ce travail ?
A History of Misogyny est un travail dans lequel je compare le présent et le passé dans plusieurs pays, afin que le public comprenne que les problématiques évoquées sont mondiales et toujours d’actualité. Je ne suis ni historienne ni sociologue. Je suis une photographe, une artiste, et cela me permet d’exprimer ces choses qui me touchent. Mais parce que j’ai étudié le journalisme, je le fais avec une ambition de vérité. Je veux mettre en lumière ce qui est caché. Le premier chapitre du projet, On Abortion, porte sur les conséquences du manque d’accès à l’avortement.
D’après vos recherches et ce que vous avez pu observer à travers votre projet, comment le terme de misogynie résonne-t-il aujourd’hui ?
Beaucoup de gens pensent que la misogynie est la haine des hommes envers les femmes. C’est une erreur, puisque ce terme désigne la haine envers les femmes en général. Cette hostilité émane aussi du système – que j’essaie de dépeindre dans A History of Misogyny. C’est-à-dire une situation entérinée dans le passé, qui existe toujours aujourd’hui et que nous n’envisageons pas de remettre en cause, puisqu’il en a toujours été ainsi. A contrario, il existe des pays avec une législation liberticide instaurée depuis peu. Par exemple, le Salvador interdit l’avortement dans toutes les circonstances, et cette loi date seulement de 1998 ! Je ne suis pas une experte, mais je constate qu’il y a un sentiment de misogynie rémanent démontrant que nous n’avons pas dépassé les réticences du passé.
D’ailleurs chez vous en Espagne, il y a deux ans, le gouvernement de Mariano Rajoy a décidé de limiter le droit à l’avortement avec un projet de loi très polémique.
En effet ! Je revenais de sept ans à l’étranger lorsque ce projet de loi a été annoncé. Il a eu un fort impact sur mon projet, car je n’aurais jamais pensé que le droit à l’avortement puisse courir un risque dans mon pays. Quand les choses vont bien, on ne se dit pas qu’il pourrait en être autrement, que l’on pourrait revenir en arrière. Et pourtant…
Combien de temps avez-vous travaillé autour de ce premier chapitre sur l’avortement ?
Ce chapitre est le fruit de sept années de recherche sur le sujet. Mais dans l’exécution, ce fut très rapide ! Car j’ai eu cette opportunité de pouvoir l’exposer aux Rencontres d’Arles – une opportunité que je ne pouvais refuser – et par conséquent, ça a accéléré le processus. Il m’aura fallu un peu plus de neuf mois pour terminer ce chapitre. J’aime penser que je l’ai porté aussi longtemps qu’une grossesse ! [Rires.]
Quelles conclusions avez-vous tirées de ces sept années de recherche ?
Qu’il y a un manque de compréhension sur l’avortement et de connaissances sur la contraception. Moi-même, je me suis aperçue que je savais peu de chose sur le sujet, en partie car je n’y ai jamais eu recours. Parce que nous vivons aujourd’hui dans une société occidentale libre, nous avons tendance à minimiser certains problèmes sociaux, sous prétexte qu’il y a eu bien pire avant et que nous avons progressé. Or c’est tout l’intérêt de ce projet : montrer aux gens à quel point l’avortement demeure une question majeure, et n’est pas seulement un sujet féminin.
Ce premier chapitre s’ouvre sur une série de photos d’objets tirés des collections du musée de la Contraception et de l’Avortement de Vienne. C’était important pour vous d’introduire cette dimension scientifique ?
Ce musée est une référence, et ses collections sont très importantes. Je me suis beaucoup imprégnée de cette ambiance scientifique, oui. Dans mes précédents travaux, j’ai pris l’habitude d’aborder des sujets très sensibles, forts en émotions. Dans ce cas-là, il m’a fallu prendre du recul. Présenter les faits, donner les clés de compréhension pour permettre au public de tirer ses propres conclusions à travers des images assez brutes…