Pour sa première édition, le jury du Ooshot Award a récompensé le travail de deux photographes : Ambroise Tézenas et Frédéric Delangle. Une commande poignante intitulée Des sneakers pour Jay-Z.
Créé cette année, le Ooshot Award vise à récompenser un travail de commande photographique réalisé par un ou plusieurs photographes professionnels. Pour cette première édition, le jury – composé notamment de Xavier Barral, éditeur, Fransesca Marani, éditeur photo à Vogue, ou encore Christophe Wiesner, directeur artistique de Paris Photo – a salué le travail d’Ambroise Tézenas et Frédéric Delangle. Sélectionnés parmi 235 photographes, venus de 39 pays différents, les deux artistes recevront une dotation de 10 000 euros par Ooshot, afin de réaliser la suite du projet Des sneakers pour Jay-Z.
Un soir d’hiver au centre de premier accueil de la porte de la Chapelle, à Paris, arrive Zaman. Le jeune Afghan, vêtu d’un simple bermuda, avait marché seize mois depuis Kaboul. En remarquant un tas de tennis usées, Zaman demande s’il y a « des sneakers… comme celles de Jay-Z » parmi elles. Un récit qui touche les deux photographes et les pousse à s’interroger sur la fonction du vêtement pour les réfugiés. Qu’ils évoquent un être cher, un souvenir heureux, ou encore une célébrité qu’ils admirent, les habits font écho à la personnalité des migrants. Frédéric Delangle et Ambroise Tézenas les ont ainsi immortalisés, à la chambre, dans une tenue qu’ils appréciaient particulièrement. Une série de portraits pleine de dignité. Ce projet, original et sensible, avait déjà été exposé aux Rencontres d’Arles 2018.
à g. « J’ai 24 ans et je viens du Soudan. J’aime beaucoup ce sweat-shirt Romantic. Le bleu foncé comme ça est ma couleur préférée. À Paris, la mode est beaucoup plus belle qu’au Soudan. »
à d. « J’ai 21 ans. Je viens de Somalie (de Mogadiscio). Je suis habillé avec une chapka et un manteau qu’on m’a donnés en Russie. J’adore ce pull qui a le style hip hop ! Si les gens me demandent combien je l’ai acheté, je vais dire que c’est un cadeau. J’adore Paris, les gens sont gentils, comparativement à Stockholm, Berlin ou Varsovie. Si j’avais des sous, j’achèterais une veste noire et des baskets Nike. Le noir me va bien car j’ai la peau caramel. »
à g. « J’ai 18 ans et je suis afghan. J’ai choisi ce sweat car dehors il fait froid. Il y a une capuche pour se protéger. Et c’est joli aussi. C’est assorti à ma robe, vous voyez. Ma robe, elle, vient de mon pays. J’ai passé deux ans en Belgique et ma maman a donné cette robe bleue à un ami qui m’a retrouvé en Belgique. J’ai aussi un jean et un pull, mais ils sont sales, là. Je n’ai que deux tenues. Ma robe et mon jean européen. Quand je mets cette tenue à Paris, je n’aime pas car on me regarde, tout le monde me regarde, ils pensent que je suis un terroriste. Je ne veux pas qu’on me regarde. Une fille, une fois, dans la rue, m’a dit : « C’est très joli, cette robe. » »
à d. « J’ai 19 ans. Je viens du Soudan. J’ai choisi ce tee-shirt car il est très beau et en plus, c’est ma taille. Il me va comme si c’était le mien. Il va bien avec mon turban. Au Soudan, dans ma région, tous les hommes portent un turban sur la tête. Ce n’est pas toujours le cas dans d’autres régions. Celui-ci, je l’ai eu à Istanbul. Je peux porter du noir ou du bleu, mais je préfère ne pas porter de rouge, c’est moche. »
à g. « J’ai 21 ans. Je viens de Guinée-Conakry. Je n’ai plus de vêtements, car ce matin, la police a mis du gaz dans ma tente puis l’a lacérée. Je me suis enfui et je n’ai rien retrouvé à mon retour. Là, j’ai choisi un pantalon beige-kaki qui est ma couleur préférée. C’est une couleur unique. Être à la mode, c’est attirer les gens autour de vous et donner une bonne image de vous. La mode traditionnelle en Guinée est très colorée, avec des couleurs électriques dans les motifs. La chemise n’est pas notre culture. Il y a par exemple les sarouels et les tuniques. Mais la mode traditionnelle en Guinée est plutôt pour les anciens. Faut pas se mentir, je ne suis pas tellement dans les habits traditionnels. Il y a des occasions où il faut porter ça : des fêtes, et ça fait du bien quand même. Mais ici, nous voulons vivre comme tout le monde. Mon idée, ce n’est pas d’offenser quelqu’un, je suis venu pour chercher à être dans la norme, je ne veux pas de problème. C’est pourquoi j’ai dit que j’avais peur des images. »
à d. « J’ai 20 ans. Je viens de Somalie. J’aime ces habits… j’aime m’habiller comme un Américain ! En Somalie, on ne s’habille pas aussi serré, vous savez, on met des habits plus larges. Ma famille n’aimerait pas trop me voir habillé comme ça. Ils trouveraient ça trop près du corps. En France, je suis libre de m’habiller comme je veux. »
© Ambroise Tézenas et Frédéric Delangle