« Panorama 21 », convoquer le passé pour penser l’avenir

28 septembre 2019   •  
Écrit par Julien Hory
« Panorama 21 », convoquer le passé pour penser l'avenir

Jusqu’au 29 décembre, Le Fresnoy propose dans ses locaux l’exposition collective Panorama 21. Une vue d’ensemble de plusieurs mois de création réunis dans des œuvres réalisées par ses élèves et des professeurs invités. Un parcours entre tradition et avenir.

« J’avais levé le pied sur les artistes dits « émergents ». Puis lorsque j’ai vu les projets proposés par les élèves du Fresnoy, je me suis dit qu’il y avait une cohérence à ce qu’on me sollicite comme commissaire. » Ces mots sont ceux de Jean-Hubert Martin, le commissaire de l’exposition Panorama 21, la rétrospective annuelle du studio national d’art contemporain basé à Tourcoing. Si nous prenons le temps de nous arrêter sur les paroles de ce prestigieux commissaire, c’est que celles-ci ont un poids évident dans l’articulation et la scénographie de l’exposition.

Sans écrire une biographie de Jean-Hubert Martin, il faut souligner que ce dernier a toujours cherché à dresser des passerelles entre tradition et modernité. Il a été, notamment, à l’initiative de l’exposition Magiciens de la terre (1989) qui a ouvert une fenêtre sur les arts actuels non-Occidentaux. Une exposition qui révélait déjà la puissance de l’imagination imprégnée de la singularité des origines. C’est donc sous le titre Les Revenants que cette nouvelle édition de Panorama fait dialoguer passé et avenir, science et chamanisme, héritage et affirmation de soi.

Éliane Aisso, Ati okuku de imolè (De l’invisible au visible) © DR

Une quête spirituelle

« J’ai souhaité appeler cette exposition Les Revenants parce que les artistes présentés ici convoquent les esprits, cherchent les fantômes, précise le commissaire. Mais aussi, dans beaucoup d’œuvres, on observe un retour à des techniques anciennes conjuguées à des technologies pointues. » Ainsi lui est venue l’idée de plonger dans les réserves des musées de la région à la recherche d’images anciennes ou de fragments d’histoire qui font écho aux installations réunies. En progressant dans l’exposition, cette indication devient une évidence. De l’indiciel à la référence brute, des traces spectrales d’un ailleurs inconnu et incertain apparaissent dans ce qui ne relève plus uniquement de la recherche formelle, mais d’une quête presque spirituelle.

Dès la première œuvre présentée, Khthon de Yan Tomaszewski, nous sommes dans le sujet. Des squelettes de céramique s’allongent sur des socles de béton. « C’est un voyage vers une ère nouvelle dans laquelle le minéral fusionne avec l’organique », explique l’artiste. Devant nous, les vestiges d’une espèce disparue dans un futur que nous ne connaîtrons sans doute jamais. Ce temps imaginaire proposé par l’exposition comble les interstices d’un espace que le spectateur est appelé à habiter. Nombre des pièces exposées sollicitent son action (ou du moins son attention éveillée), comme pour lui rappeler que la contemplation passive est un rapport au monde au mieux désinvolte.

Vincent Pouydesseau, Werviqaceae, antenne botanique © DR

Le corps devient laboratoire

Mais ici, il n’y a rien de moralisateur, presque aucun message strict. Nous sommes dans une école d’art, pas dans un tribunal. Les artistes font preuve d’une maîtrise certaine qui ne saurait se dissoudre dans une rhétorique simpliste. Il s’agit d’une invitation à la conscience et à l’ouverture des sens. Pour exemple, l’œuvre de Claire Williams, Zoryas, qui rend perceptible, à travers notre corps, l’activité du plasma. Réalisant ainsi « une installation qui pulse au rythme de l’activité électromagnétique du soleil. » Le corps devient alors un laboratoire où l’œuvre se déploie et libère la perception.

Avec Please party love, Pierre Pauze a d’ailleurs côtoyé des laboratoires. Ce dernier explore la théorie controversée de la mémoire de l’eau. Celle-ci garderait en mémoire des informations moléculaires. L’eau qui a été en contact avec certaines substances conserverait une empreinte et certaines propriétés de celles-ci alors même qu’elles ne s’y trouvent plus. L’homéopathie se base sur cette théorie quand une grande partie de la communauté scientifique s’accorde à parler d’effet placebo. Pierre Pauze a donc décidé de tenter l’expérience en synthétisant en laboratoire un puissant psychotrope trouvé sur le Darknet. Il en a ensuite fait des doses homéopathiques qu’il a distribuées à 20 volontaires qui, lors d’une soirée, n’ont donc bu que de l’eau « informée » par cette drogue. En résulte un film comme une observation de cette expérience. Voulant toujours aller de l’avant, Le Fresnoy compte développer davantage la collaboration entre artistes et scientifiques jusqu’à les intégrer dans le suivi du cursus des élèves.

Claire Williams, Zoryas © DR

L’avenir de l’imaginaire

Il ne s’agit pas ici de faire un descriptif exhaustif des œuvres présentées, mais de dessiner les contours des préoccupations partagées par cette jeune génération. Dans leur grande majorité, les œuvres révèlent une créativité sans bornes et rassurante sur l’avenir de l’imaginaire lorsque celle-ci est pleinement soutenue par des moyens exceptionnels. L’établissement publique du Fresnoy est une des rares écoles au monde à offrir des technologies à la hauteur des ambitions. Prenons uniquement les moyens photographiques mis à disposition des élèves. Les possibilités techniques de développement sont exceptionnelles. Pourtant, peu d’œuvres présentées font explicitement appel au 8e art.

Parmi elles, nous en retiendrons trois. Sunset Pictures d’Olivier Sola, qui explore les couchés de soleil, thème photographique par excellence. Ati okuku de imolè (De l’invisible au visible) de l’artiste béninoise Éliane Aisso illustre, entre autres, le lien entre le défunt et sa réincarnation. Enfin, l’œuvre proposée par Fanny Béguély est clairement photographique. Avec Arba, Dâk Arba l’artiste s’intéresse aux pratiques divinatoires, questionne le mythe de la Sybille et de la Pythie, et propose une série de « chimigrammes » dans lesquels elle utilise des fibres, de l’acide, des vernis ou encore de l’huile, pour forcer le papier à révéler ses secrets et délivrer ses présages. Si cette œuvre, dans sa tentative métaphorique d’entrevoir les destins, laissait deviner le futur de la création plastique, nous pouvons être confiants. La programmation de Panorama 21 déploie un univers sensible pensé par des artistes soucieux de préserver la mémoire et en quête de réponses pour inventer les lendemains.

Fanny Béguély, Arba, Dâk Arba  © DR

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Olivier Sola, Sunset Pictures © DR

© DR© DR

À g. : Yan Tomaszewski, Khthon, et à d. : Hadrien Téqui, La Colonie P.

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Jonathan Paquet, À l’heure de la sieste © DR

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Éliane Aisso, Ati okuku de imolè (De l’invisible au visible) © DR

Image d’ouverture : Fanny Béguély, Arba, Dâk Arba  © DR

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