Peter Lindbergh ou le « devenir » de la photographie de mode

30 juin 2022   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Peter Lindbergh ou le « devenir » de la photographie de mode

Jusqu’au 25 septembre, le Pavillon Populaire de Montpellier rend hommage à l’héritage laissé par l’illustre photographe Peter Lindbergh. Plus qu’une exposition de mode, Devenir revient sur le parcours de l’artiste par le prisme de sa personnalité.

« Cela devrait être de la responsabilité des photographes modernes de libérer les femmes, et finalement tout le monde, de la terreur de jeunesse et de la perfection »

, affirmait Peter Lindbergh. Tout au long de sa carrière, le photographe allemand – disparu en septembre 2019 – a défendu la vision d’une femme libre, charmante dans sa simplicité et non dans les chimères de l’artifice. Bien conscient des carcans qui les enserrent dans des diktats inatteignables, il assume son regard d’homme et le met au service de leur cause. Dans les années 1980, cette prise de position vis-à-vis de la mode et de la féminité qui en découle est alors loin de faire consensus. À contrecourant, l’artiste se fraye un autre chemin. L’un de ceux qui mènent vers l’acceptation d’une beauté brute, qui loue la fragilité de l’être spontané.

Loin d’être anodine, cette entreprise témoigne des convictions d’un artiste qui a résolument influencé le devenir de son médium. Bien nommée en de multiples aspects, la rétrospective du Pavillon Populaire de Montpellier s’attache à mettre en lumière le parcours de Peter Lindbergh à la lueur de sa personnalité. Un ensemble de 140 de ses tirages et vidéos s’entremêle ainsi à quelques effets personnels, disposés çà et là entre les portraits. Quelques citations ornent également les murs et des extraits de documentaires – également diffusés au cinéma Nestor Burma – viennent étayer le propos. Tous ces éléments pluriels se présentent alors comme autant de fragments de vie que d’indices de son passage derrière l’image. « Il s’agit d’une exposition presque métaphysique, qui se concentre sur l’évolution et l’avenir », assure la commissaire Tara Londi.

La nature imprécise de l’être vivant

À l’instar d’un voyage initiatique, les visiteurs sont invités à suivre les pas du photographe de mode. La première salle nous plonge ainsi dans les années 1980. Peter Lindbergh est encore étudiant en art et multiplie les errances entre son Allemagne natale, le sud de la France, le Maroc et l’Espagne. Là-bas, il découvre les clichés de Dorothea Lange et s’éprend des arts abstraits et conceptuels. Ce mélange d’influences lui inspire une poésie nouvelle, ancrée dans cette liberté de la forme et du mouvement qui le fascinait déjà dans le ballet russe. Il délaisse alors la recherche d’une perfection technique pour partir en quête de l’imperfection ou de la vérité des sujets qu’il capture. Pour ce faire, il développe, au fil du temps, une relation de proximité avec ses modèles. Un climat de confiance s’installe et les encourage à se dévoiler davantage, sinon à se révéler tout à fait.

À l’image, le maquillage est léger, voire inexistant. Refusant la retouche excessive, Peter Lindbergh ne cherche pas à dissimuler les rides et autres aspérités de la peau. Aux modèles figés sur papier glacé, il préfère la nature imprécise de l’être vivant qui affirme sa condition humaine d’un regard frontal qui ne faiblit pas. La vulnérabilité assumée se transforme en une force éloquente qui participe à redéfinir les standards de beauté alors en vigueur. Les femmes ne sont plus de simples mannequins, au sens premier du terme, placés arbitrairement au cœur de compositions étudiées. Elles deviennent des sujets actifs qui transmettent des récits qu’elles incarnent résolument, et Peter Lindbergh devient l’instigateur de la narration dans la photographie de mode.

Dans les moindres clichés de l’artiste, un dialogue s’opère finalement avec celui ou celle qui contemple les images. Il le confronte à d’autres réalités, sublimées dans des monochromes à la lumière douce et diffuse. Toujours d’actualité, elles ne peuvent nous laisser insensibles. L’intérêt ne réside plus dans l’apparence du geste gracile, mais dans la dimension intemporelle de ce qui l’anime et le motive. « On ne peut vraiment inventer quelque chose que si on se connecte au monde réel, quoi que cela signifie », déclarait justement le photographe. C’est cet indéniable avant-gardisme qui contribuera à inscrire le nom de Peter Lindbergh en lettres capitale dans l’histoire du 8e art.

© Peter Lindbergh© Peter Lindbergh
© Peter Lindbergh© Peter Lindbergh

© Peter Lindbergh

© Peter Lindbergh© Peter Lindbergh
© Peter Lindbergh© Peter Lindbergh

© Peter Lindbergh

Explorez
Les images de la semaine du 13.01.25 au 19.01.25 : la mémoire du vivant
© Alžběta Wolfova, Enveloppe, Muséum Victor Brun à Montauban.
Les images de la semaine du 13.01.25 au 19.01.25 : la mémoire du vivant
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye évoquent différents aspects de la mémoire, du vivant et des sciences.
19 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les 50 ans de la loi Veil : regards photographiques sur l'avortement
© Kasia Strek. The Price of Choice. Granite City, Illinois, USA, 19.07.2022
Les 50 ans de la loi Veil : regards photographiques sur l’avortement
Le 17 janvier 2025 marque le cinquantième anniversaire de la loi Veil, légalisant l'interruption volontaire de grossesse (IVG) en France....
17 janvier 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Angela Strassheim : crime éclairé
Preuve n°10. Evidence © Angela Strassheim
Angela Strassheim : crime éclairé
Formée à la photographie médico-légale, Angela Strassheim pose le décor d'énigmes non élucidées dans sa série Evidence. Puisant dans les...
16 janvier 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
18 séries de photographies qui évoquent des crimes et des faits divers
© Kourtney Roy
18 séries de photographies qui évoquent des crimes et des faits divers
À l’occasion de la sortie de Fisheye #69, nous avons sélectionné une série de projets, publiés sur les pages de notre site, qui...
15 janvier 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les coups de cœur #528 : Mélodie Roulaud et LickieMcGuire
© LickieMcGuire
Les coups de cœur #528 : Mélodie Roulaud et LickieMcGuire
Mélodie Roulaud et LickieMcGuire, nos coups de cœur de la semaine, se livrent toutes deux à une pratique photographique ayant trait à...
20 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 13.01.25 au 19.01.25 : la mémoire du vivant
© Alžběta Wolfova, Enveloppe, Muséum Victor Brun à Montauban.
Les images de la semaine du 13.01.25 au 19.01.25 : la mémoire du vivant
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye évoquent différents aspects de la mémoire, du vivant et des sciences.
19 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Blue Monday : 24 séries de photographies qui remontent le moral 
© Charlotte Robin
Blue Monday : 24 séries de photographies qui remontent le moral 
Depuis 2005, chaque troisième lundi de janvier est connu pour être le Blue Monday. Derrière ce surnom se cache une croyance, née d’une...
18 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Raphaëlle Peria et Fanny Robin remportent l’édition 2025 du BMW ART MAKERS 
© Raphaëlle Peria / ADAGP
Raphaëlle Peria et Fanny Robin remportent l’édition 2025 du BMW ART MAKERS 
Le jury du BMW ART MAKERS s’est accordé à nommer l’artiste Raphaëlle Peria et la curatrice Fanny Robin lauréates de la quatrième édition...
18 janvier 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet