La 25e édition du festival PhotoEspaña a ouvert ses portes début juin. Partout dans Madrid, les lieux d’exposition font la part belle à la photographie documentaire, à l’histoire, mais aussi aux enjeux sociopolitiques présents et futurs. Un parcours intense à découvrir avant le 28 août !
Le 1er juin dernier, le festival PhotoEspaña a célébré l’ouverture de son édition 2022 – et son 25e anniversaire. Pour l’occasion, le festival madrilène présente 120 expositions, présentant les œuvres de 442 photographes et artistes visuels. Au cœur de l’événement ? « Les femmes et l’histoire de la photographie, deux thèmes que nous mettons en valeur depuis quelques années », commente Claude Bussac, directrice du festival, avant de poursuivre : « cette année, les commissaires d’exposition invités, Vicent Todolí et Sandra Guimarães, ont mis l’accent sur la photographie documentaire, à travers plusieurs accrochages, intitulés Sculpting Reality ». Partout dans la capitale espagnole apparaît donc le 8e art. Des plus grands noms aux auteurs émergents, des récits historiques aux nouvelles écritures, le festival investit de nombreux lieux, et nous invite à (re)découvrir les images qui ont marqué, et qui continuent de marquer notre monde. Et pour célébrer son anniversaire, il investit même deux nouveaux lieux prestigieux : « le Panthéon et le Palais Royal », se réjouit Claude Bussac.
© à g. Vue du Monastère de Montserrat, Conde de Vernay, à d. Sebastião Salgado
Une collection emblématique
Cette année, l’écriture documentaire est mise à l’honneur. Exposition vedette, Sculpting Reality prend place dans trois lieux différents (Círcula de Bellas Artes, Casa de América et Espacio Fundación Telefónica) et entend explorer les évolutions du style à travers les époques et les continents. Un événement ambitieux, regroupant une collection des plus emblématiques. Parmi les artistes accrochés ? Walker Evans, Lee Friedlander, Helen Levitt, Robert Frank, Joel Meyerowitz, David Goldblatt, Susan Meiselas, Luigi Ghirri ou encore Paul Graham. Un véritable condensé de stars permettant au public de saisir les nombreuses nuances d’une esthétique empruntant à la force narrative du photojournalisme, comme à la poésie de l’art. Tout aussi impressionnant, le dialogue entre l’œuvre de Sebastião Salgado et les fonds de la collection royale, au Palacio Real de Madrid est un pari réussi. Une manière inattendue de croiser les ères et la vision des paysages. Sublimées par le décor somptueux du palais, les images hantent les esprits, et convoquent, en contrepoint, l’urgence écologique à laquelle nous faisons face.
À travers Field of Images, la commissaire d’exposition María Willis retrace quant à elle soixante ans de la carrière de Paolo Gasparini – un périple en Amérique latine, de Caracas à Mexico, en passant par La Havane et São Paulo. Mêlant monochromes et couleurs brutes, moments de grâce et contrastes poignants, le photographe parvient à peindre un portrait nuancé des tensions culturelles et des contradictions qui animent le continent. Au cœur de la dernière salle d’exposition – dans la Fondation Mapfre – les nuances se mélangent, et les résonances entre les images forment une osmose splendide. Répétitions, nuances chaudes, noir et blanc graphiques viennent donner du sens à un chaos qu’on se plaît à décortiquer. Une scénographie très réussie. À l’étage, place à Carlos Pérez Siquier, dont l’œuvre impressionne par sa diversité. Du documentaire classique à l’abstraction plasticienne, du portrait humoristique évoquant les compositions de Martin Parr aux études insolites de son environnement, le photographe espagnol brille par son imagination. Véritable rétrospective, l’exposition met l’accent sur les transitions, les contradictions qui habitent son travail avec une irrévérence des plus charmantes. Imposante, la 25e édition de PhotoEspaña propose un défilé de célébrités. Une virée marquante dans l’histoire photographique internationale.
© Carlos Pérez Siquier / VEGAP Madrid 2022
Entre préoccupations présentes et futures
Mais si le festival donne à voir une création classique, indémodable, il parvient également à donner une voix aux jeunes auteurs. À la Casa Arabe, le collectif Libanais 1200 présente les œuvres de douze artistes. Une réunion de jeunes photographes devenue nécessaire suite aux nombreuses catastrophes subies par leur pays d’origine – notamment depuis l’explosion du port de Beyrouth en 2019. Sur les murs du lieu culturel, chaque série a sa place, pourtant, çà et là, des clichés individuels viennent dialoguer avec ceux de leurs collègues. Une redondance volontaire, perçue par les membres du collectif comme une allégorie de leur frustration, de leur douleur. Une impression de « tourner en rond » face aux complications qui ne cessent de survenir. Alors, ensemble, ils se soutiennent, ils se hissent à nouveau vers le haut. Complexe et torturée, In Light or Shadow of What Was and Still Is se lit comme une complainte nouvelle, un besoin de partager au monde un état d’esprit global. Une bouffée d’air frais dans une programmation davantage tournée vers le passé.
Fruit d’un appel à candidatures organisé par Futures, une plateforme européenne créée en 2018, l’exposition Hybrids, enfin, voit au-delà du présent, vers un avenir protéiforme aux conclusions incertaines. Conçu par la curatrice Marina Paulenka, l’événement croise les œuvres d’Emily Graham, Eva Kreuger, Marta Bogdanska, Jean-Vincent Simonet ou encore Maija Savolainen. Quelle est la place de l’art dans la forme que prendront nos existences ? Et à quoi ressemblera notre monde ? Crise sanitaire, conflits internationaux, réchauffement climatique… En mêlant arts visuels et technologie, photographie et vidéo, sculpture et performance, les artistes présents imaginent des « nouvelles réalités comme des contre-narrations ». Une série de témoignages aux frontières du conceptuel venant déconstruire une planète dont l’existence ne cesse d’être mise à mal. Une plongée dans la photographie contemporaine installée dans les magnifiques locaux de CentroCentro. Entre préoccupations présentes et futures, PhotoEspaña parvient, à travers ces deux expositions, à encourager la création émergente, tout en affirmant le rôle de « sonneur d’alerte » du médium photographique. Un parcours à explorer jusqu’au 28 août.
© à g. Marta Bogdanska, à d. Maia Savolainen
© à g. Manu Ferneini, à d. Myriam Boulos
© Javier Campano
© à g. Alberto García-Alix, à d. Juan Baraja
© à g. Kati Horna / Archivo Fotografico de las Oficinas de Propaganda Exterior de la CNT-FAI, IISG Amsterdam, à d. Francesc Català Roca
© Paolo Gasparini / Colecciones Fundación MAPFRE
Image d’ouverture : © Carlos Pérez Siquier / VEGAP Madrid 2022