Pour sa 3e édition, la Résidence 1+2 installée à Toulouse accueille trois photographes qui seront exposés cet automne. Trois femmes sont à l’affiche de ce rendez-vous : Smith, l’auteure « leader » chargée d’assurer le coaching des deux photographes « junior », qui sont cette année Prune Phi et Camille Carbonaro. Rencontre.
Le soleil est au rendez-vous dans ce grand appartement toulousain qui accueille les trois photographes de la Résidence 1+2. Durant deux mois, les trois auteures (Smith, Prune Phi et Camille Carbonaro) ont rencontré des astrophysiciens, des neurologues, des psychogénéalogistes et bien d’autres personnes ressources que Philippe Guionie, à l’initiative du projet, s’est efforcé de rassembler pour alimenter les têtes chercheuses des trois artistes. Un casting scientifique qui vient confirmer ce que préfiguraient les éditions précédentes, à savoir la grande concentration de chercheurs dans la région toulousaine. Une prise de conscience qui conduit la résidence à se connecter sur « photographie et science », et voit l’arrivée d’un nouveau partenaire média avec Sciences et Avenir.
Relations entre l’homme et le cosmos
La science, justement, était déjà une thématique très présente chez Smith avec les séries Spectrographie, Traum et Saturnium. « Même si mon travail est toujours basé sur la fiction, sans valeur scientifique réelle. Je pars de concepts qui m’intéressent ou qui m’intriguent, et je les intègre dans une fiction, une histoire, un projet qui va les digérer », précise l’artiste. Dans le cadre de la Résidence 1+2, Smith poursuit Désidération commencé l’an dernier, qui devrait « se construire comme un archipel avec différents pôles : vidéo, sculpture, photos, et des textes entre fiction et théorie. Désidération explore les relations entre l’homme et le cosmos à partir d’un point de départ scientifiquement avéré, qui est que la vie a été apportée sur Terre par des météorites. Certains acides aminés nécessaires à la vie n’étaient pas présents initialement, et ils seraient donc entrés via le cosmos, avec les météorites », explique Smith. Photos de cratères, implantation d’un morceau de météorite pour « se réinjecter une dose d’infini perdu », film, petit opéra connecté à la planète Mars… Toute une collection d’œuvres qui explorent la mélancolie générée par cette nostalgie des origines cosmogoniques, avec la complicité de l’équipe de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap).
Astroblème, 2018 © Smith
L’immigration italienne en mode fanzine
Camille Carbonaro est elle aussi préoccupée par ses « origines perdues », thématique qui rassemble les trois photographes. Mais c’est l’histoire de l’immigration italienne qu’elle explore à travers son travail. « Avant la résidence, j’avais un peu tourné autour de l’histoire de mon père, de ma grand-mère, d’une communauté musulmane… et en discutant avec Smith et Prune, elles m’ont convaincue de m’y mettre vraiment ». Camille a suivi la formation du 75, une des fameuses écoles photo de Bruxelles, et édite des fanzines avec sa maison d’édition : Macaroni Books. Et c’est justement la forme de fanzines que seront rassemblées ses recherches menées avec le soutien d’une psychogénéalogiste. « La psychogénéalogie, c’est une thérapie qui parle de l’influence de ses ancêtres, ses parents… Ça parle de cette émotion, positive ou négative. Peut être que le départ de mes grands-parents qui ont quitté l’Italie pour s’installer à Marseille a conditionné ce que je suis, ce que je ressens », détaille la photographe. « L’immigration italienne en France est une immigration “réussie”, dans la mesure ou les personnes se sont assimilées et n’ont rien transmis d’italien à leurs enfants. » Un effacement des origines qui a touché et chagriné Camille. « Du coup, j’ai rencontré des personnes qui m’ont raconté leur vie et m’ont donné de la matière avec leurs archives, leurs photos, leurs papiers… Des documents familiaux qui, associés mon propre matériel, à des récits, des témoignages, des collages, des broderies ou des textes personnels me permettent de recréer une mémoire », explique la photographe.
© Camille Carbonaro
Reconstruire sa part manquante
La famille est aussi au cœur de la recherche de Prune Phi, étudiante en 3e année à l’ENSP d’Arles, mais avec une approche plus plasticienne. Sans doute à cause de sa licence d’arts plastiques et de son master en création artistique précédemment acquis, Prune a l’habitude de retravailler les images, de les détourner, d’en faire des sculptures… Avec un grand-père d’origine vietnamienne qui ne lui a transmis aucun élément relatif à sa culture, Prune prend conscience d’un manque dans son identité, et son projet va s’atteler en poser des éléments. Elle entreprend un voyage aux États-Unis pour rencontrer sa famille émigrée, tente de renouer avec ses origines, mais la transmission n’est pas l’apanage de la tradition vietnamienne. Prune participe à des associations d’étudiants vietnamiens, en France et ailleurs, pour tisser des liens et reconstruire sa part manquante, qu’elle traduit dans ses recherches en images. « J’ai rencontré un neurologue qui travaille sur le stress post-traumatique pour apaiser les maux avec des gestes », détaille Prune pour expliquer une série de photos dans laquelle elle reproduit les pliages d’un plat traditionnel vietnamien quelle transforme en sculpture. De même qu’elle isole des éléments dans ses images, ou dans celles qu’elle récupère, pour mettre en avant un geste. Elle effectue un déplacement susceptible de reconstruire une mémoire inconsciente avec de faux souvenirs qui prendront la forme d’une installation cet automne.
© Prune Phi
Image d’ouverture © Smith