Jusqu’au 23 novembre, la galerie hong kongaise f22 foto space accueille deux séries de la photographe Mar Sáez. Des projets complémentaires formant une mosaïque de récits humains.
« Mon amour pour la photographie remonte à mon enfance. Mon père possédait un boîtier argentique et réalisait de nombreuses photos de famille. Plus tard, j’ai découvert la magie du laboratoire, et mon intérêt pour le média a grandi. En parallèle, ma fascination pour l’être humain s’est approfondie, et j’ai étudié la psychologie ainsi que la communication audiovisuelle »,
raconte Mar Sáez. Cette artiste espagnole expose pour la première fois en Asie deux séries intimes, au cœur de la galerie f22 foto space de Hong Kong. Des travaux symboliques de son amour d’autrui. D’esthétiques distinctes et pourtant complémentaires, les projets sont présentés à la manière d’un dialogue, d’une phrase suivant une autre, sur les murs du lieu culturel. Sur deux étages, les séries se suivent, chacune dans son propre espace, en réinventant les règles de lumière et de scénographie. Le jour et la nuit ; clairs-obscurs colorés et monochromes… et pourtant leurs thèmes semblent se chercher, s’embrasser.
Des similarités découlant de la pratique de la photographe. « Je suis toujours directe, et j’aime me rapprocher de mes sujets. Je cherche à découvrir des nouvelles réalités, des histoires exclusives et à m’immiscer dans la vie des autres. Pour y parvenir, je parle, je communique, et je fais preuve d’empathie », explique Mar Sáez. Des qualités qui lui permettent de sympathiser avec des jeunes voyageurs, dans To the travellers, ou de pénétrer dans l’intimité d’un couple, avec Vera and Victoria. Au cœur de ces relations volatiles et éphémères, l’artiste aborde avec une poésie spontanée les notions d’identité, de culture, de féminité et d’appartenance. « Quelle place nous faisons-nous dans le monde ? s’interroge-t-elle. Je perçois la photographie comme un outil capable d’évolution sociale. Il nous permet de rendre visibles certaines réalités. » Et, au fil de deux récits, l’artiste tisse des liens, formant une mosaïque de récits humains, divergents et pourtant tous touchants.
Voyeurisme empathique
Mar Sáez a rencontré Vera après avoir lu une interview de la jeune femme qui se déclare transactiviste. « J’étais fascinée par ses réponses et son regard », se souvient-elle. D’abord résolue à réaliser une série autour de la notion de genre, la photographe décide de capturer l’histoire de Vera et sa partenaire Victoria. « Mon axe est devenu celui de l’amour. Le fait d’être transgenre était devenu secondaire. Ma série s’est transformée en un journal visuel, illustrant les différents instants de leur relation. Des moments de joie, de tristesse, de passion… » confie l’artiste. Sur les clichés, les corps se font et se défont, ils se plient dans un rire éternellement figé ou se détendent avec une sensualité désarmante. Les regards se cherchent, luttent ou se perdent – un échange sourd et poignant. Avec une sincérité poétique, Mar Sáez fait le portrait d’une histoire, dans ses maladresses, ses allégresses et ses tourments.
Si To the travellers s’inscrit dans une démarche plus réfléchie, c’est ce même besoin de contact, ce désir d’affronter le monde et l’inconnu avec un autre qui animent la série. « J’habite entre deux villes depuis plusieurs années, et ces voyages perpétuels effacent l’idée que je me fais du foyer. Après maints périples, j’ai commencé à interagir avec des étrangers afin de tolérer la distance parcourue », confie la photographe. Durant ces échanges fugaces, l’artiste a tenté de définir la notion d’appartenance à un lieu, avant de découvrir que ces amis éphémères n’avaient pas non plus l’impression de venir d’un endroit précis. Chaque portrait – réalisé grâce à un effort commun, certains voyageurs aidant la photographe à tenir son équipement – raconte un récit. Un récit singulier, symbole de solitude et de partage. Une histoire personnelle, perdue dans le désordre du monde, et pourtant symbolique d’un besoin vital : celui de transmettre.
C’est donc ce plongeon dans l’intimité qui lie les deux séries présentées à f22 foto space. Une immersion voyeuriste et empathique dans la sphère personnelle d’inconnues. « Dans ces deux projets, je capture leurs vies, leurs motivations, leurs peurs et leurs émotions », précise l’artiste. En pointant son objectif vers les récits du banal, elle en révèle sa magie. « Beaucoup craignent l’inconnu, ce qui est singulier, différent. À travers mon travail, je montre les nombreuses facettes d’une société : toutes, aussi importantes et respectables », conclut-elle.
© Mar Sáez / courtesy f22 foto space