À l’occasion du festival Circulation(s), qui se tient jusqu’au 21 mai 2023, nous avons pu rencontrer Ann Massal, qui expose un travail tout en profondeur sur les tensions existantes, et existentielles au sein d’une relation. Soit l’une des œuvres choc les plus marquantes de cette 13e édition.
Un homme, une femme. Leur beauté, leur animalité. Leur sensualité, leur cruauté. On love, violence and the lack of it (À propos de l’amour, de la violence et du manque de celleux-ci) évoque une histoire personnelle traumatique, mais elle pourrait tout aussi bien faire référence aux tensions qui ont traversé l’histoire de l’humanité. À travers la série la plus récente d’Ann Massal, celle-ci souhaite offrir une interprétation des deux grandes œuvres françaises contemporaines écrites par des femmes :Vers la violence de Blandine Rinkel, et Cher Connard de Virginie Despentes, avec qui elle partage une approche non manichéenne. De l’amour, comme de la violence, elle choisit pour les traiter l’image, « pour ce qui la distingue de l’écrit », déclare-t-elle. Et un titre plein d’ambivalence. The lack (le manque) s’applique-t-il à un terme ou à l’autre ? Dans cette histoire, y a-t-il eu manque d’amour ou manque de violence ? Les deux ? Où y aurait-il un amour de la violence chez Ann Massal ?Grâce à la formule anglaise, le doute plane.
« Thanatose : comportement de certains animaux qui consiste à simuler la mort devant un danger. » En lettres de charbon noir, dont certaines sont stylisées comme des croix de cimetière : une définition. Peut-être celle de notre animalité, et de notre humanité. Certaines petites bêtes, en effet, ont pour habitude de se pétrifier et peuvent même arrêter de respirer, afin de se protéger de l’adversité. De même, face à la violence et au trauma, nous pouvons nous enfermer en nous-mêmes et cesser d’y permettre l’accès à autrui. Les forces qui parcourent l’histoire, prise entre désir, colère et apaisement, constituent à la fois notre héritage le plus lourd, et notre plus grande vitalité. Au cœur de toute relation également, il y a le bien et le mal. « Et c’est ainsi », nous rappelle Ann Massal. Son ambition ? Dire l’envers du décor, « l’invu de la violence » que l’on ne soupçonne pas toujours.
Magnétisme et révulsion
Des images déchirées puis réassemblées, un immense papier réfléchissant accroché au mur, afin que les visiteurices se reflètent elleux-mêmes, une photo d’un pénis en gros plan, au filtre vert fluorescent, une petite fille repeinte au vernis à ongles… Si Ann Massal emploie une vaste gamme de techniques artistiques, qui créent elles-mêmes des possibilités d’interprétation décuplées, son exposition forme un ensemble « décomplexé » d’après son expression – proche d’un regard queer, pourrait-on même avancer. « Il est possible de s’extirper des cadres sacralisants de la photographie, et de l’art en général. C’est ce que j’ai voulu réaliser ici », nous explique-t-elle. Selon l’œil de chacun·e, il y a la férocité et la douceur, il y a la perversité et le plaisir, et il y a l’horreur et la beauté.
Évoquer ce sentiment d’attraction-répulsion à travers le médium devient pour Ann Massal une manière de travailler sur la norme. En ce sens, l’artiste partage l’audace et l’œil vif de la photographe Maisie Cousins. Sa plus grande angoisse ? Tomber dans le cliché. « Surtout lorsque l’on travaille sur l’ambiguïté », confie-t-elle. Alors qu’elle a commencé sa carrière dans l’industrie de la mode et de la beauté, elle s’insurge désormais contre les stéréotypes, et tente d’illustrer à quel point nos points de vue peuvent différer selon notre marquage social. « J’évoque notamment notre rapport au vieillissement. Or le vin et le fromage deviennent meilleurs à mesure qu’ils prennent de l’âge ! », ironise-t-elle. Ann Massal nous offre, avec On love, violence and the lack of it sa propre vision de la beauté. Car peut-être celle-ci réside-t-elle, avant tout, dans l’ambiguïté des choses.
© Ann Massal