De La Haine à l’amour, Elizar Veerman franchit le pas

26 décembre 2022   •  
Écrit par Pablo Patarin
De La Haine à l’amour, Elizar Veerman franchit le pas

Par une démarche sociologique et humaine, Elizar Veerman nous parle des autres, leurs identités, leurs joies et leurs luttes, tout en se racontant lui-même. Avec sa sérieYou Huddle To Keep Warm, le Néerlandais tisse un lien fraternel entre les jeunes hommes issus de communautés périphériques et de diasporas en Europe, souvent victimes de représentations discriminantes.

Photographe néerlandais, Elizar Veerman est aussi d’origine moluquoise – venu d’un archipel situé dans l’est de l’Indonésie, colonisé par les Pays-Bas pendant près de 400 ans. Et c’est dans un quartier peuplé par cette communauté qu’il grandit, en périphérie de Rotterdam, où la famille de son père a été placée après la décolonisation. Outre son éducation et son héritage, c’est en photographiant ses amis dans les scènes locales de skate et de graffiti de sa ville natale que débute son parcours photographique. Des clichés de rue, des adolescents et des hommes qui l’entourent viennent rapidement garnir sa carte mémoire, après l’obtention de son premier boîtier. Elizar Veerman se passionne ensuite rapidement pour le portrait, et s’intéresse tout particulièrement aux représentations de la masculinité et aux actes d’auto-revendication.

L’auteur associe à la dimension documentaire de son œuvre une imagerie tirée de la mode et du streetwear : « La plupart de mes sources d’inspiration proviennent de choses que j’observe et que je ressens dans la rue pendant que je tourne, comme les vêtements, le langage corporel et les « sous-cultures » des jeunes », explique-t-il. C’est aussi son approche « organique », quasi-sociologique de la photographie qui lui permet de communiquer avec les milieux ghettoïsés pour ainsi les représenter avec bienveillance et intérêt : « Je traîne avec les gens, je me lie avec eux avant de communiquer mes intentions photographiques lors de la prise de vue. Mes intentions sont honnêtes et vont droit au but », ajoute-t-il. En se fondant sur sa propre histoire et son milieu socio-économique, le néerlandais inspire la confiance et met à l’aise ses sujets : « L’honnêteté, la sensibilité et parfois la fragilité émanent de ces intentions, je crois. »

© Elizar Veerman© Elizar Veerman

Leur agressivité, leurs joies, leurs blessures

« Quand j’étais plus jeune, je voyais rarement des gens qui me ressemblaient représentés dans la photographie néerlandaise, surtout en tant que créateur. Cela m’a motivé à commencer à faire le portrait des garçons avec lesquels j’ai grandi dans le quartier des Moluques »

, poursuit le photographe. Peu à peu, il prend conscience des connexions entre ceux qui passent devant son objectif et des manières dont ils se réapproprient l’espace : « j’ai donc continué à faire le portrait de garçons et d’hommes dans d’autres quartiers moluquois du pays, ainsi que dans d’autres communautés ayant une histoire similaire », poursuit-il.

Ainsi, Elizar Veerman crée des parallèles entre les victimes de ségrégation de son propre quartier et ceux de périphéries d’autres villes européennes, comme les cités de Marseille. Des sujets qui agissent comme des miroirs : « je me reconnais dans leurs histoires, leur agressivité, leurs joies, leurs blessures, leur vulnérabilité, leurs armures et leurs masques », confie l’auteur. Pour ces portraits, ce dernier utilise un processus spécifique : l’homme au centre, regard en direction de l’objectif, afin de créer un contact visuel entre lui et le spectateur. « Je photographie volontairement à partir d’un angle légèrement plus bas que le niveau des yeux, ce qui place les personnes que je photographie sur un piédestal », développe Elizar Veerman.

Une fois le cliché réalisé, il n’hésite jamais à offrir ses tirages à ses modèles. Une manière de donner en retour, matériellement, mais surtout symboliquement en partageant son capital culturel. Une démarche militante qui entend, à l’image de l’ensemble de son œuvre, renverser certains rapports de force pouvant exister dans notre société : « L’appareil photo crée toujours une dynamique de pouvoir et, par le passé, il a trop souvent été utilisé pour déformer la représentation de personnes vulnérables », expose l’artiste. Sorte de déclaration d’amour au cinéma français et ses réalisateurs de clips, tels que Romain Gavras, le photographe d’origine moluquoise a décidé de baptiser sa série en hommage à La Haine : « Dans ma scène préférée, un vieil homme conte une anecdote aux trois protagonistes du film qui sont des adolescents en quête d’espace dans les périphéries de Paris où ils ont grandi. Au cours de cette histoire, il évoque la solidarité face à l’exil et aux difficultés : You Huddle To Keep Warm – on se tient chaud ensemble », conclut-il.

© Elizar Veerman

© Elizar Veerman© Elizar Veerman

© Elizar Veerman

© Elizar Veerman© Elizar Veerman

© Elizar Veerman

© Elizar Veerman© Elizar Veerman

© Elizar Veerman

© Elizar Veerman

Explorez
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
© Arielle Bobb-Willis
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
Issue du mouvement de l’avant-garde noire contemporaine que nous présentons dans notre dernier numéro, Arielle Bobb-Willis capture le...
28 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Algorithmes 
sous influence
© Lena Simonne, backstage du show Étam 2024 à Paris.
Algorithmes 
sous influence
Autrefois dominé par les magazines et les photographes, le secteur de la mode s’est transformé sous l’impulsion...
27 mars 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Focus : capitalisation du corps, tourisme strassé et indépendance
Unprofessional © Matilde Ses Rasmussen
Focus : capitalisation du corps, tourisme strassé et indépendance
Créé par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant
qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la...
26 mars 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l'histoire officielle
Sans titre, 2023. Série Patria Nostra © Julie Joubert. 2023-2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Prix Découverte 2025 Fondation Louis Roederer - L’assemblée de ceux qui doutent. Présenté par L’Hôtel Fontfreyde – Centre Photographique, Clermont-Ferrand, France.
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l’histoire officielle
Pour la deuxième année consécutive, les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer des Rencontres d’Arles seront exposé·es...
25 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Comédie, étrangeté et légèreté : 18 séries photographiques pour sourire
De la série Extrem Tourism, 2011 © Thomas Mailaender
Comédie, étrangeté et légèreté : 18 séries photographiques pour sourire
Canulars, farces et attrapes et étrangetés rythment chaque année cette première journée d’avril. Pour célébrer le poisson d’avril, la...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La sélection Instagram #500 : une bonne blague
© Théophile Baye / Instagram
La sélection Instagram #500 : une bonne blague
Aujourd’hui, attention à votre dos. Celui-ci pourrait être rempli de petits poissons et autres farces si typiques de ce premier jour...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Kourtney Roy : une atmosphère parfaite pour une séance photo
© Kourtney Roy
Dans l’œil de Kourtney Roy : une atmosphère parfaite pour une séance photo
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Kourtney Roy, lauréate, en duo avec le compositeur Mathias Delplanque, de la 6e édition...
31 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #538 : Alexandre Dinaut et Pascal Fayeton
© Alexandre Dinaut
Les coups de cœur #538 : Alexandre Dinaut et Pascal Fayeton
Alexandre Dinaut et Pascal Fayeton, nous coups de cœur de la semaine, nous proposent deux voyages distincts. Le premier nous emmène en...
31 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet