Inspiré par la nuit et le monde des songes, le photographe belge Jean-François Flamey explore les techniques d’impression et les frontières du réel pour composer des images captivantes.
« Ma pratique photographique remonte au début des années 2000, période à laquelle j’ai décidé de dépasser la vision d’un médium-fabrique de souvenirs pour découvrir petit à petit sa puissance d’évocation, sa capacité à porter des récits et à favoriser l’imprévu »
, se souvient Jean-François Flamey. Né en 1972, le photographe vit et travaille aujourd’hui à Namur, en Wallonie. Autodidacte, et ancien disquaire, il construit ses images avec la passion d’un créateur fou, fasciné par son propre imaginaire. « Il y a quelques années, j’ai découvert ces mots de Blaise Pascal : “l’imagination décide de tout”. Un déclic s’est opéré en moi. C’est comme si on m’énonçait une vérité vérifiée, validée. L’imagination comme seul remède, comme seule valeur, que rien ni personne ne serait capable de nous enlever », poursuit-il.
Si le 8e art peut se raccrocher au tangible, souvent considéré comme un miroir de notre réalité, Jean-François Flamey s’attache à déconstruire, à couper les fils qui relient images et naturalisme. Dans ses images au grain prononcé, les frontières se brouillent, la vision devient floue, incertaine. Abstraites, presque expressionnistes, ses réalisations nous invitent à nous réaccoutumer à notre propre créativité, à écrire des récits à l’encre invisible, en suivant les lignes de chaque cliché. « Je n’aime d’ailleurs pas utiliser le terme de spectateur, car il renvoie à quelque chose de passif. Je préfère obtenir des personnes qui croisent mes images qu’elles deviennent actrices et parties prenantes de ma photographie. C’est un sentiment bien plus enivrant. Marcel Duchamp parlait de “regardeurs”, j’aime beaucoup ce que cela enferme », confie-t-il.
Détourner la vérité
Sans explorer de thèmes particuliers – « ce serait me réduire à quelque chose alors que je recherche au contraire le plus de liberté mentale possible pour me créer des contextes favorables qui auront pour effet de troubler mon regard », commente-t-il – l’auteur recherche une poésie trouble, une obscurité lancinante, féconde, qui abrite l’inspiration. Guidé par de nombreuses influences (parmi elles, le cinéma japonais avant-gardiste, les peintures de Vermeer, Degas, le Bauhaus, Germaine Krull ou encore Sarah Moon) le photographe construit un monde où les règles n’opèrent plus. En quête de sens, il nous faut errer dans les méandres de cet univers monochrome à la recherche du beau, de l’implacable, de l’émouvant.
« Mon utopie est de réaliser des images comme si elles sortaient d’un rêve ou d’un état hypnagogique – ce court espace-temps un peu ambigu entre les l’éveil et l’endormissement, durant lequel nous perdons le contrôle de nos pensées raisonnées au profit de réflexions qui s’autorisent beaucoup plus de libertés », explique Jean-François Flamey. Et c’est ce désir de s’affranchir des lois, de tromper nos sens, nos perceptions les plus stables qui dictent ses compositions. Diptyques décousus, envolées conceptuelles, instants de grâce ou pesanteur incontrôlable… Chaque image cherche à détourner la vérité. D’où proviennent ces silhouettes spectrales ? Ces corps en transe ? Dorment-ils ? Ou appartiennent-ils à des forces étranges et surnaturelles ? Les rêves prennent-ils le pas sur l’esprit cartésien ? L’onirisme nous permet-il d’accéder à une forme de transcendance ? « J’entends dépasser la seule représentation du contenu de l’image et travailler également sa matérialité à travers des manipulations chimiques : par des mises en cultures d’impressions au fond de ma cave, ou bien en les collant à même la rue, où elles évoluent au fil du temps. D’une certaine manière, je creuse mes clichés, au propre comme au figuré, pour tenter de découvrir l’insoupçonné », explique-t-il. Souvent prises de nuit, ses œuvres se détachent de la pénombre comme des fragments de songes. Des instants insensés imprimés dans l’iris du rêveur et figés, grâce à son boîtier. Une plongée nocturne dans un univers où indécision, philosophie et esthétisme se mêlent et tracent, dans l’inconnu, un chemin sinueux.
© Jean-François Flamey