« Kok Boru » : un sport brutal et des joueurs attendrissants

21 juillet 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Kok Boru » : un sport brutal et des joueurs attendrissants

Passionné par les cultures et pays étrangers, Théo Saffroy s’est rendu au Kirghizistan, nation d’Asie centrale. À travers Kok Boru steppes by step, il documente un sport populaire et atypique, pratiqué sur des chevaux, et ses joueurs, aussi fous que touchants.

Au Kirghizistan, petit pays montagneux situé entre la Chine et le Kazakhstan, le sport national est le Kok Boru. Un jeu au cœur duquel deux équipes de cavaliers se disputent une carcasse de chèvre de quarante kilos. L’objectif ? La déposer dans le but adverse, le kazan. Violente, risquée, atypique, la pratique prend racine dans l’histoire nomade, où les hommes capturaient les loups, venant rôder, appâtés par le bétail, et s’en servaient comme d’une balle. Une démonstration de force, symbole de virilité et de courage – autant de qualités attendues de la part de guerriers. Pourtant, « malgré la brutalité des impacts, il y a une élégance, une harmonie du mouvement dans ce sport. C’est une sorte de danse frénétique où les cavaliers sur leurs cheveux s’enlacent puis se séparent », commente Théo Saffroy.

Fasciné par les portraits à la chambre d’Elliott Verdier, réalisés dans le pays, le photographe français s’est plongé dans les singularités de la culture asiatique, avant d’y voyager, découvrant ainsi ce jeu étonnant. « À force d’en parler, j’ai multiplié les contacts, et j’ai finalement réussi à échanger avec quelqu’un sur place. J’ai compris qu’il y avait une rupture depuis l’indépendance en 1991, une recherche d’équilibre, mais aussi un retour aux traditions nomades », raconte-t-il. Sur place, il rencontre Ruslan, une véritable légende dans le milieu du Kok Boru, qui a intégré l’équipe régionale en 1998. « J’ai vécu chez lui, avec sa famille durant plusieurs jours. Je l’ai accompagné durant ses entraînements et il m’a partagé la philosophie de son sport, ainsi que certaines légendes kirghizes », poursuit l’auteur.

© Théo Saffroy

Esthétique et informatif

Ce sont les histoires qui nourrissent Théo Saffroy. Les détails qui se révèlent, au contact des modèles, la profondeur que l’on perçoit dans des lieux inattendus. Au Kirghizistan, c’est au contact des joueurs qu’il découvre une philosophie touchante. « Les sportifs ont un sens du sacrifice impressionnant, une force de caractère et un altruisme qui illustrent un penchant optimiste de la société. L’histoire de Ruslan est touchante, car l’impact est collectif. Il ne reproduit pas seulement l’idéologie soviétique du partage des richesses, mais propulse les valeurs d’entraide de sa passion à la création d’une économie solidaire », explique-t-il. Car sur place, le prestige social dont jouissent les cavaliers aide la population à évoluer. « La communauté prend le relai des institutions défaillantes de l’État pour garantir un toit à tous les villageois. Face à la précarité du monde rural, ce sont les gains sportifs qui alimentent le budget du village », ajoute le photographe.

Et, pour faire transparaître cette sensibilité, Théo Saffroy se place au plus proche de ses modèles. Sur le terrain, il court dans tous les sens sur le sol humide, tente d’anticiper les déplacements des chevaux au galop pour capter des instants forts – et pour éviter les corps massifs des animaux. « Je me suis même placé dans le kazan et je me suis pris la carcasse en plein visage ! J’ai aussi failli mourir sur le cheval de Ruslan, en essayant d’attraper la chèvre. L’animal a senti le novice en moi et a commencé à galoper dans un fossé, j’avais tout mon matériel avec moi, c’était très violent », s’amuse-t-il. Mais les moments de calme, en dehors des parties endiablées, lui permettent aussi de s’immerger dans un monde inconnu, captivant. Tissant des liens avec les joueurs, il mange, boit à leur côté, apprend à connaître leur pratique pour mieux documenter leur existence. Paisibles, ses images éclairées par une lumière picturale apportent une douceur, une vulnérabilité bienvenue dans ce conte musclé. « Il y a toujours deux enjeux dans mes projets : esthétique et informatif », précise l’artiste. Entre vivacité exacerbée et sérénité, Kok Boru, steppes by step donne à voir les nuances insoupçonnées d’une pratique d’apparence triviale.

© Théo Saffroy© Théo Saffroy

© Théo Saffroy© Théo Saffroy

© Théo Saffroy© Théo Saffroy

© Théo Saffroy© Théo Saffroy

© Théo Saffroy© Théo Saffroy

© Théo Saffroy

Explorez
Dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker : le bonheur d’être seul dans sa tête
Le général Augusto Pinochet portant le cercueil du gouverneur de la province de Santiago, Carol Urzúa, Santiago, Chili, 31 août 1983 © Marie-Laure de Decker
Dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker : le bonheur d’être seul dans sa tête
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker. À l’occasion de la rétrospective que la Maison...
14 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Ma yëë tunjoty, ma yëë kopkjoty, 2020. © Octavio Aguilar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Parallel Oaxaca.
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Pour la deuxième année consécutive, les Rencontres d'Arles mettent en lumière les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer à...
12 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rencontres d'Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
Montagne de Corte, Corse, 2022. © Jean-Michel André. Avec l’aimable autorisation de l’Institut pour la photographie / Galerie Sit Down.
Rencontres d’Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
En parallèle de ses articles sur la 56e édition des Rencontres d’Arles, qui se tient jusqu’au 5 octobre 2025, la rédaction...
12 juillet 2025   •  
Camille Lévêque décortique la figure du père
© Camille Lévêque. Glitch, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Camille Lévêque décortique la figure du père
Dans À la recherche du père, Camille Lévêque rend compte de questionnements qui l’ont traversée pendant de longues années....
10 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Polina Ganz : le rêve comme refuge
© Polina Ganz
Polina Ganz : le rêve comme refuge
La photographe allemande Polina Ganz explore des mondes imaginaires nourris par la culture underground, les visions lynchéennes et le...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #515 : faire paysage
© Eleonora Busato / Instagram
La sélection Instagram #515 : faire paysage
Comment habitons-nous l’espace ? Quelle place y occupons-nous ? Les artistes de notre sélection Instagram décentrent l’être humain du...
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker : le bonheur d’être seul dans sa tête
Le général Augusto Pinochet portant le cercueil du gouverneur de la province de Santiago, Carol Urzúa, Santiago, Chili, 31 août 1983 © Marie-Laure de Decker
Dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker : le bonheur d’être seul dans sa tête
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker. À l’occasion de la rétrospective que la Maison...
14 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #550 : Guillaume Hutin et Ali Beşikçi
Masumiyet © Ali Beşikçi
Les coups de cœur #550 : Guillaume Hutin et Ali Beşikçi
Guillaume Hutin et Ali Beşikçi, nos coups de cœur de la semaine, ont au centre de leur pratique la notion de dialogue. Si le premier fait...
14 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot