Le photographe français Hubert Crabières décortique les relations de pouvoir qui se jouent dans l’instant photographique. Rythmé par les saisons, l’artiste produit une œuvre mouvante, résultat de ses expérimentations artistiques.
« La littérature et la philosophie ont été de grandes sources d’inspirations et peut-être les moteurs principaux de mes recherches »
, explique Hubert Crabières, qui voit en La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil un essai quasi-photographique. Ne se retrouvant pas dans l’idée de diviser son œuvre en séries isolées, l’artiste revendique un ensemble unique, de longue allure, qui témoigne de l’évolution de ses recherches. « J’ai souvent du mal à percevoir l’ambivalence et la complexité des sens d’une image, ou d’un propos autour des images, quand celle-ci s’inscrit sous l’autorité d’un thème particulier » explique-t-il. Qu’elles répondent à une envie personnelle et intime, ou qu’elle soient le fruit d’une commande, ses images dialoguent, et nuancent son approche artistique. Au centre de son travail, l’idée de contexte attise son élan créatif et multiplie les niveaux de lecture. « Peut-être qu’au fond, l’image résulte plus d’un accident ou d’une conséquence contextuelle que d’une fin en soi. C’est pour cela qu’elle ne trouve pas sa place dans une thématique (pré)définie », confie le photographe.
“Family”, Edicola Magazine, stylist Riccardo Linarello, Dijon, France, 2019
Un étonnement constant
Metteur en scène extravagant, Hubert Crabières imagine des situations surréalistes où ses modèles exaltent le décor. Ses images donnent à voir des personnages déguisés, célébrant l’absurde, et questionnant les enjeux de l’acte photographique. « Jouer avec son apparence dans l’image c’est aussi une manière de se positionner sur ce que je peux m’approprier ou non dans le rapport à la personne que je photographie », explique l’auteur, qui n’hésite pas à utiliser des costumes – tous plus invraisemblables les uns que les autres. « Cette confrontation entre le construit et ce qui y échappe constitue la force, politique, d’une photographie. Par là je peux intégrer toutes ces contradictions sans que l’une ou l’autre ne prennent une valeur de démonstration autoritaire », défend l’artiste.
C’est exclusivement chez lui, à Argenteuil – transformé pour l’occasion en studio multiforme et déjanté – que le photographe construit ses mises en scène complexes. Par la continuité du lieu, Hubert Crabières brouille les repères chronologiques et revendique un questionnement sur la temporalité du travail photographique. « Je veux explorer cette contradiction entre l’envie d’originalité dans une image – ce que le contexte commercial a tendance à surdévelopper – et au contraire l’absence de surprise, quelque chose qui casserait l’effet autant qu’il le privilégierait », raconte-t-il. Le décor, toujours identique, ne surprend jamais, mais rend d’autant plus merveilleux ce qui s’y déroule, une sorte d’étonnement constant. « Cela me permet d’explorer les liens, entre l’intime et le spectaculaire, et surtout entre l’intime et le monde professionnel. Ainsi peuvent se côtoyer des images documentaires et des images mises en scène », souligne le photographe. En revendiquant des axes de recherches étayés, et des mises en scènes déjantées, Hubert Crabières nous invite à scruter l’instant photographique, et les enjeux qui s’y opèrent.
“Aobadai flowers”, Edicola magazine, Aobadai, Japan, 2018
“Swimming pool” à g., “Fireworks” à d., Maison Caron , Argenteuil, France, 2020
© Hubert Crabières