Le photographe Hugo Weber célèbre la poésie des mondes rejetés. L’artiste révèle à travers ses récits introspectifs et immersifs une intimité vibrante, à l’encontre des clichés. Entre contradictions, amitiés et simplicités, son premier livre 5341, raconte le quotidien des résidents d’une banlieue prolétaire de Milan.
« Je voyais les photographes comme des flemmards, qui, en appuyant sur un bouton, se disait artiste »,
Hugo Weber, ne mâche pas ses mots. Venant du milieu graph, l’auteur s’exaltait de l’action dans l’art de rue, et voyait la valeur esthétique dans le tangible et l’éphémère. C’est en essayant l’argentique dans le cadre de son Bac pro graphisme qu’est apparue une passion pour le médium. Né à Paris, il passe son enfance à Grigny, puis part à Milan à l’âge de 10 ans. « J’utilise les histoires des autres pour parler de moi ou pour explorer des mondes, sans être jugé par la société », confie le jeune homme qui se jette corps et âme dans ses images. En témoignent ses projets : son travail en cours dans les bidonvilles d’Aubervilliers, sa résidence dans le cadre du Tremplin Jeunes Talents à Deauville, ou encore son premier livre photo 5341.
Après avoir enchaîné les petits boulots pendant presque dix ans – en parallèle d’un travail d’assistant de photographes – il décide de tout lâcher pour développer un travail personnel. « Entre 2017 et 2018, c’est devenu la photographie ou rien, si je venais à ne pas en vivre, alors je serais devenu un marginal », explique l’auteur. Le dernier photographe qu’il assista, Alex Majoli membre de l’Agence Magnum, lui fait comprendre un élément essentiel : pour réussir, il faut tout risquer. Le résultat ? Des images vibrantes.
La magie dans ces vies complexes
Pour son premier livre, en collaboration avec le photographe, Denny Mollica, il a choisi de raconter la vie d’un quartier sensible. C’est là qu’il se reconnait. « J’ai grandi dans la rue, j’ai beaucoup de facilité à me projeter dans les difficultés quotidiennes, confie-t-il. Je rends hommage à ma jeunesse au sein du quartier, le plus loin possible des clichés de gangsters et des jugements ». En Italie, chaque rue porte un code d’identification, et pour la via Boifava, située dans une banlieue prolétaire du sud de Milan, c’est 5341. « Des jeunes du quartier ont pris le code de leur rue et l’ont revendiqué comme symbole. Ils l’ont entre autres décliné en tatouage, ou tag », raconte le photographe. Une fierté, à première vue paradoxale, quand on considère la marginalisation de ces habitants. Hugo Weber livre un récit honnête, et sans superflu. Il témoigne ainsi des douces contradictions – si humaines – de ce quartier.
Plongé dans ce monde pendant sept mois, il documente les moments les plus touchants du quotidien. « Mon point fort c’est l’intimité, et donc, quand je veux raconter quelque chose, je me plonge dedans et je le vis, sans a priori, et sans jugement », revendique l’auteur. Se reconnaissant dans cette galère, dans cette poésie urbaine, Hugo Weber crée des images à l’instinct, sur le vif, et cherche à voir la magie dans ces vies complexes. Il s’intègre totalement pour finalement disparaître dans le paysage. « Je ne cherche pas à être le photographe, mais simplement Hugo. Avec certains, ça prend deux jours et avec d’autres, six mois, mais si je veux faire des photos, je vais les faire », et des images, il en a fait. Armes à feu, drogues, tatouages, mais aussi embrassades, entre amis, et membres de la famille… L’auteur dresse un portrait sincère de ces personnes oubliées. En ressort des moments simples – faits de joie, de mélancolie et d’ennui.
La beauté d’une vie à la marge
« C’est des gars super gentils, qui galèrent à mort et se retrouvent à créer un gang, une deuxième famille, pour se sentir exister, dans un quartier-dortoir, où, de toute façon, on leur répète à longueur de journée qu’ils vont y crever. C’est l’histoire de beaucoup de jeunes dans le monde qui se retrouve marginalisés »,
poursuit Hugo Weber. Manifeste de liberté, et d’autonomie, 5341 célèbre ces personnes invisibles, et montre que leurs vies difficiles peuvent devenir une force. Le photographe voit la beauté de ces réalités, et s’y abandonne entièrement pour mieux les valoriser.
Engagé, l’auteur n’a qu’un objectif : mettre en lumière les personnes délaissées par les normes sociales. En témoigne son projet en cours, MONIKA, la bohémienne des Gravats. Il relate dans cette série la vie d’une peintre junkie, transsexuelle, vivant dans un bidonville dans la banlieue nord de Paris. Convaincu qu’il doit au maximum s’identifier à son sujet pour produire le meilleur travail, il partage ses craintes : « J’ai peur de passer à quelque chose d’autre, de transposer cette poésie dans d’autres contextes. Je suis vraiment terrorisé à l’idée de devenir une caricature de moi-même et de tourner en rond ».
© 5341, Hugo Weber
© « MONICA, la bohémienne des Gravats », Hugo Weber