Sur la galerie digitale du mystérieux A. – ou @gyoza_and_sake sur Instagram – recèle un ensemble sombre et troublant de clichés. Entre l’anonymat de la rue et l’intimité d’une chambre d’hôtel, le photographe flirte avec les frontières de l’obscène et dévoile, avec passion, un ensemble d’images monochromes.
« Je cherche à montrer quelque chose de brut et de vrai »
, appuie le mystérieux photographe A., installé au Japon et caché derrière le pseudo @gyoza_and_sake sur Instagram. D’abord réticent envers la photographie, il se tourne vers le médium lors d’un voyage longtemps attendu au Pays du Soleil levant. « Pendant mon premier séjour à Kyoto, j’ai eu le sentiment que c’était peut-être ma dernière visite du Japon. J’ai donc décidé de capturer ma vie quotidienne et les choses que je trouvais percutantes. », raconte-t-il. Avec un appareil photo « merdique » en poche, selon ses mots – acheté pour à peine 30 euros – il shoote frénétiquement tout ce qui passe sous ses yeux. Et 6 ans plus tard, A. vit encore au Japon, et n’a toujours pas retiré son œil du viseur. Avec une approche agressive et constante, il construit un ensemble d’images unique et toujours grandissant – une véritable plongée dans le tempo intime et turbulent du photographe. Chaos et fulgurances, devant son objectif défilent scènes de rue graphiques et portraits flamboyants, bousculant les codes de la pudeur et poussant l’artiste dans l’anonymat.
« J’ai commencé à photographier en couleur et je me souviens avoir pensé : “Pourquoi les gens photographient-ils en noir et blanc ? Ils perdent tellement de vitalité”. Puis je me suis essayé au monochrome, et je n’ai jamais fait marche arrière », se remémore le photographe. Avec des contrastes grisants, et des flashs impétueux, il arrache ses sujets du réel et les projette hors du temps dans un monde où le vice rime avec l’amour. « J’aime la distorsion qui surgit avec le grain – l’accent sur les textures, les motifs et le vertige provoqué par les espaces vides. C’est une façon de me distancer de la réalité, ou du moins de mes sujets », raconte-t-il. Loin de chercher son inspiration dans l’histoire du 8e art, le photographe puise dans l’univers du manga et de la bande dessinée : Hellboy, Sin City, BLAME, Lone Wolf and Cub, pour n’en citer que quelques-uns. « La texture du papier, le contraste exagéré et la dimension tactile des pages s’immiscent clairement dans mon travail », explique l’artiste.
À l’ombre des regards
Que ce soit contre le béton presque cruel de la rue, ou face à la douceur remarquable d’une chambre d’hôtel, A. oscille entre deux mondes et tisse des liens entre l’intime et le public – l’obscénité et la chasteté. Dans le métro, sous un abribus, dans un marché… En déambulant dans la ville, l’artiste se confronte à l’insouciance des passants anonymes. Puis, avec un certain voyeurisme, il se cache à l’ombre des regards, et laisse ses modèles se désinhiber pour flirter avec son objectif. « La partie brute et la partie délicate de mes images sont en fait les deux faces de la même médaille. Elles révèlent les paradoxes de ma personnalité : ma partie introvertie et ma partie plus agressive », raconte le photographe. Car avant tout, la photographie permet à @gyoza_and_sake de s’extraire de sa bulle et de vaincre sa timidité. « C’est un outil qui me permet d’appréhender la vie en général. Comme quand un comédien se produit : il se révèle. La scène lui donne la possibilité de faire des choses qu’il ne ferait pas normalement. C’est la même chose pour moi quand j’ai mon appareil photo en main », explique-t-il.
Et à la prise de vue se succède un second temps, plus lent, où A. recompose ses clichés. En se faisant, il assure une cohérence d’ensemble et impose son style. « Mes créations relèvent en grande partie de mon souci esthétique, poursuit l’artiste. Je passe beaucoup de temps à regarder mes images, à les confronter entre elles et à penser les sensations qu’elles me procurent, pour que je trouve la meilleure manière de les assembler ». En résultent des compositions sans concessions, à l’obscurité inégalée et à la provocation assumée – non sans rappeler le mouvement japonais Provoke et sa figure de proue : l’immense photographe Daido Moriyama. Éduqué aux rythmes de groupes comme Dead Can Dance, Noir Désir et Nick Cave, ou aux films de David Lynch et David Cronemberg, A. assume entièrement la dimension sombre de ses images et en fait même sa signature. « On m’a souvent dit que mes photos étaient sombres et qu’elles véhiculaient un sentiment de solitude… Et je suis tout à fait d’accord avec ces deux points ! », reconnaît-il. Avec rigueur et dextérité, l’artiste cultive une esthétique à la limite de l’obscène, où se révèle une sensibilité troublante pour le corps et les aléas du quotidien nippon.
© A. @gyoza_and_sake