Du Black bloc parisien, aux manifestations prodémocratie à Hong-kong, le photographe français Thaddé Comar mène une réflexion esthétisée sur les luttes politiques et l’abus de pouvoir dans une société de surveillance. En plus de critiquer le surarmement policier, l’artiste questionne dans son projet How was your dream ? les notions d’anonymat, d’unité dans un groupe, et plus largement les rapports de force dans les insurrections.
« En 2019, j’ai commencé à voir les images des manifestations de Hong Kong. J’ai pris un billet deux jours avant de décoller, et finalement je suis resté deux mois »,
se souvient Thaddé Comar. Lauréat de la bourse photographique de ProHelvetia, l’artiste a cherché à poursuivre son travail 2017 n’aura pas lieu sur le Black bloc parisien. C’est une période historique pour la ville chinoise : l’avenir de la démocratie est remis en question. Les rues deviennent des microcosmes politiques et les habitants s’y rencontrent, et imaginent le monde de demain. Plongé au cœur des manifestations contre l’amendement de la loi d’extradition par le gouvernement, l’auteur témoigne des nombreux enjeux qui se jouent entre les manifestants et les forces de l’ordre. Contre le déploiement de systèmes de surveillance de plus en plus sophistiqués, « l’appareil photo devient un réel outil de luttes » précise-t-il.
L’anonymat est la règle
Après avoir intégré des groupes Whatsapp de journalistes, il rejoint des groupes Telegram de manifestants. Mouvements de foules, gaz lacrymogènes, brouhaha général… Photographier relève d’un vrai défi dans ces situations complexes et incertaines. L’artiste s’équipe et travaille dans l’urgence. « Une fois qu’on est à l’aise, il n’y a plus qu’à faire des images, et tester ses propres limites. C’est de l’adrénaline finalement, et au fur et à mesure, on y prend goût », raconte Thaddé Comar. Indispensables, les photographes jouent un rôle crucial dans ces manifestations. « Ils forment un bloc qui “protège” les manifestants. Leur présence empêche les forces de l’ordre de réprimer de manière disproportionnée. Ils sont plus ou moins garants d’un déroulement “dans les règles” », souligne-t-il.
Au cœur de ces soulèvements, l’anonymat est la règle. « Les militants sont devenus extrêmement prudents et craintifs à l’égard des appareils de captations », raconte Thaddé Comar. Thématique récurrente pour toute personne ayant photographié ces évènements, elle devient cruciale pour l’artiste. « Depuis quelques années les manifestations sont devenues une sorte de théâtre médiatique ou les images se multiplient. Chaque faiseur d’images doit se fixer des limites quant à la diffusion des visages », poursuit-il. Composant avec cette contrainte, il décide de photographier les individus totalement anonymisés. En résulte une série de portraits étonnement hétérogène, où l’individualité de chacun se révèle à travers l’inventivité de leurs masques.
Fictionnaliser les récits pour ne pas s’incriminer
Contrairement aux journalistes présents pendant ces soulèvements, son approche est personnelle et artistique. Son objectif ? « Explorer une esthétique symbolique et intemporelle qui appréhende la réalité, à travers les échos d’une multiplicité d’images singulières », avance l’auteur, cherchant à épurer son travail de tous les codes du photojournalisme. En capturant lasers, canons à eau, et autres ingénieries, il parvient à trouver une certaine poésie dans ces moments pourtant chaotiques. Un caractère onirique, qu’il célèbre dans le titre de sa série, How was your dream ? « C’est une formule que les manifestants utilisent pour parler de leurs expériences de manifestations. C’est une manière de fictionnaliser les récits pour ne pas s’incriminer », poursuit-il, soulignant la beauté de cette expression.
Les notions de fiction et de rêve, au cœur des pensées révolutionnaires, épousent son récit et orientent sa recherche. « Mon travail sous-entend cette idée de rêve. La possibilité de l’idéal et de l’utopie, mais aussi du cauchemar, du désenchantement, de la dystopie. Des thématiques intimement liées à l’insurrection, et aux espérances portées par ce mouvement », conclut le photographe, depuis grandement attaché à cette ville, et aux personnes qu’il a pu y rencontrer. Thaddé Comar navigue au cœur de l’action avec légèreté, et analyse les rapports de force déployés pendant les insurrections modernes.
© Thaddé Comar, How was your dream ?