Peu après la mort de son frère, la photographe française Margot Wallard a déménagé en Suède, dans la région du Värmland. Au cœur de la nature sauvage, elle a construit Natten, une série thérapeutique, portée par la douleur du deuil et l’envie d’aller de l’avant.
Fisheye : Pourquoi t’es-tu tournée vers la photographie ?
Margot Wallard : La photographie a toujours été présente dans ma famille. Mon grand-père était un passionné et mon père a toujours photographié – c’est d’ailleurs lui qui m’a donné mon premier boîtier à l’âge de 7 ans. À 15 ans, j’ai commencé à apprendre les techniques du labo noir et blanc. Je me voyais devenir photographer-reporter, mais après le bac j’ai rencontré une artiste photographe, Véronique Bourgoin, qui a bouleversé ma manière de photographier. Ma pratique est alors devenue mon mode d’expression, elle était obsessionnelle, vitale et je n’ai plus fait que ça. Aujourd’hui, je vis entre la France et la Suède, et j’anime un workshop, l’Atelier Smedsby, avec mon conjoint le photographe suédois JH Engström.
Comment procèdes-tu avec tes projets ?
J’ai une approche assez autobiographique. Si mes projets sont toujours liés à des événements de ma vie personnelle, mon objectif est de les ouvrir à des questionnements universels. Aussi, j’ai toujours eu besoin d’avoir un lien assez direct avec mes sujets. Ainsi, je me sens plus légitime.
Tu as changé ta manière de photographier, pour Natten. Pour quelle raison ?
Mes projets précédents étaient, pour la plupart, réalisés avec l’esthétisme du « snap shot ». Je photographiais avec un petit appareil photo que j’emportais partout. Une prise de vue rapide, assez réaliste. Après le décès de mon frère, j’étais dans une période de deuil, et je vivais dans un environnement géographique isolée – la région du Värmland, en Suède. Ces deux facteurs m’ont poussée à changer ma manière de photographier. J’ai ressenti le besoin de me poser, de ralentir. D’aller vers des techniques que je n’avais jamais explorées.
En quoi cet événement tragique a-t-il influencé ton travail ?
Le décès de mon frère a été très violent – il se trouvait en état de mort cérébrale pendant un long mois, et tous les jours nous étions à ses côtés, à l’hôpital, et nous le regardions mourir. Je suis repartie dans le Värmland immédiatement après l’enterrement. Soudain, je me suis retrouvée dans un environnement étranger, bouleversée par des émotions contradictoires : devais-je aller de l’avant, ou me plonger dans ma tristesse ? Ces sentiments ont été le déclencheur du projet. Je savais que ce que je venais de vivre allait indéniablement influencer ce travail.
La nature est omniprésente, dans la série. Comment te l’es-tu appropriée ?
Elle est très présente là où je réside, en Suède. Quand j’ai déménagé là-bas, je faisais des allers-retours en France tous les deux mois, pour photographier mon frère. Je regardais cette nature sans grand intérêt. Mais suite à son décès, ces paysages sont devenus un exutoire. J’ai eu envie de m’y plonger, je les ai utilisés. Les photographier était un moyen de m’approprier cet environnement. J’ai passé beaucoup de temps à l’observer, le scruter. Cette nature sauvage, violente et belle me renvoyait à mes interrogations. Natten est donc aussi un hommage à la région du Värmland que j’ai appris à connaître et à aimer.
Pourquoi avoir intégré des autoportraits dans Natten ?
L’autoportrait est une discipline que je n’avais jamais exploré dans mes précédents projets, parce qu’elle ne me semblait pas pertinente. Mais cette fois-ci, j’ai eu envie d’y placer un personnage fantastique. Mon corps, je l’ai utilisé comme objet. C’était un moyen d’exprimer mes émotions dans un espace défini.
Perçois-tu la photographie comme une forme de thérapie ?
La photographie a des bénéfices thérapeutiques, oui. Dans Natten, j’ai étudié l’introspection. J’aime ce mode d’expression – plus onirique et métaphorique – car il n’encourage pas une approche « directe ». Cela correspond aux doutes qui m’habitent quand je crée. J’aime cette idée que l’image devient, pour moi, une forme de mémoire fantasmée et transformée.
Cependant, mon nouveau projet, dédié à l’Algérie, exprime davantage mon envie d’ouverture sur le monde extérieur ainsi qu’une grande curiosité pour l’autre. Il ne s’agit plus d’une thérapie ni d’une forme de nostalgie, bien que le point de départ de cette série soit lié à ma vie personnelle.
© Margot Wallard