Anna Reivilä est une artiste finnoise née en 1988. Son projet Bond se situe entre la sculpture, l’installation et la photographie. Elle a voyagé dans les forêts de Finlande pour questionner le lien entre l’homme et la nature, en réinventant le bondage. Entretien.
Fisheye : Pourrais-tu présenter ton parcours ?
Anna Reivilä
: Lorsque j’étudiais aux Beaux-Arts, je réalisais surtout des installations. Progressivement j’ai commencé à documenter ces installations avec des photographies. À l’université, le travail plastique et la photographie étaient considérés comme deux disciplines distinctes, il nous fallait choisir l’une plutôt que l’autre. J’ai oscillé entre les deux. Soit je ne faisais que de la photographie que je finissais par détruire, soit je réalisais des installations. Finalement, j’ai compris qu’il était possible d’allier les deux disciplines.
Comment as-tu intégré le bondage dans ta pratique ?
Bond
est une combinaison d’éléments photographiques, sculpturaux et performatifs. Le mot japonais pour « bondage » est « kinbaku » et signifie littéralement « la beauté de la reliure serrée ». J’explore le symbolisme de cette discipline japonaise, qui scrute les liens entre l’humain et le divin. Dans ma série Bond, j’applique la technique traditionnelle dans la nature. Je ligote des roches, des arbres et d’autres éléments du paysage. Les cordes du bondage composent les lignes de mes photographies, comme des dessins. Elles créent des interactions et rendent visibles les connexions entre les éléments. Ces dessins tridimensionnels sont physiquement fragiles, instables et éphémères. En enregistrant le processus, la photographie devient partie intégrante de l’objet créé. Dans les cérémonies religieuses japonaises, les cordes et les cravates symbolisent les liens entre l’humain et le divin, comme un moyen d’identifier l’espace et le temps sacrés. Je veux étudier la relation entre l’homme et la nature.
Quel a été ton processus de création ?
Je travaille dans des endroits reculés en Finlande. D’habitude, il me faut quelques jours de randonnée avant d’atteindre ces endroits. J’ai réalisé une grande partie de ces images dans l’archipel, dans des îles inhabitées. Je me rends là-bas et je marche pendant des semaines, en contact avec la nature. J’essaie de trouver des lieux où les éléments se combinent pour créer des tensions naturelles intéressantes. Et puis je prolonge ces tensions avec mes propres interprétations. Je repère une scène et je sais tout de suite qu’elle peut faire l’objet d’une installation.
Comment as-tu vécu cette expérience ?
Chaque photographie implique tant de randonnées et de voyages dans la nature – à bien des égards, il faut être une nomade. Une partie essentielle de mon travail consiste à voyager et à errer dans la nature. Je réalise mes installations uniquement dans des endroits où je pourrais me sentir chez moi. Réaliser du bondage sur un rocher ou un arbre est avant tout un acte contemplatif, parce qu’il faut aussi repousser ses propres limites en tant qu’être humain. Il y a tous ces instincts de base qui réagissent face au danger ou l’hostilité, et vos pensées deviennent tout de suite plus claires. Par exemple, si vous travaillez en eau profonde, vous êtes vraiment à l’écoute de toutes les différentes sensations – y compris la sensation de froid. Et tout cela vous plonge dans une méditation profonde.
Pourquoi as-tu réalisé ce projet en noir et blanc ?
Le contraste entre le paysage sombre et la corde blanche a plus de puissance. Par ailleurs, la photographie en noir et blanc ramène le spectateur dans le monde de la photographie elle-même. D’une certaine façon, cela fait de mes clichés un « non-site » [les « non-sites » théorisés par R. Smithson (1968) répondent à la problématique du lieu de l’art soulevé par les artistes du « land art ». Ils investissent un no man’s land entre l’atelier, le plein air et le lieu d’exposition, NDLR]. Nous ne pouvons jamais voir le sujet en noir et blanc avec nos propres yeux, donc un espace inventé se crée. Ma photographie isole ainsi la pièce de son origine et de l’endroit où elle a été prise.
Quel message veux-tu transmettre ?
« Vous savez, pour une raison quelconque, je me vois reflété dans cette image. Est-ce que ça a l’air stupide ? »
me demandent certaines personnes qui ont vu ce travail. Il est vrai que j’aimerais que le spectateur se voit reflété dans ce travail. Je veux transmettre au spectateur le lien que j’ai eu avec l’espace dans lequel j’ai réalisé le bondage. Cela peut être un lien avec l’endroit et les éléments, et il s’agit aussi d’une attache avec une dimension plus mystique.
© Anna Reivilä