Bianca Salvo, née en 1986, est une artiste visuelle italienne travaillant entre Milan et Bogota. Elle signe avec The Universe Makers, une série qui met en question l’imagerie spatiale. Entretien.
Fisheye : Pourrais-tu décrire ton parcours photographique ?
J’ai commencé à m’intéresser à la photographie il y a plus de 10 ans. Je venais de terminer une formation en psychologie. Je me suis initiée au 8ème art en travaillant des techniques alternatives argentiques. J’ai ensuite obtenu mon diplôme en photographie à l’Istituto Europeo di Design en 2010 et en 2012 au London College of Communication. Depuis, je me suis consacrée à ma carrière d’artiste et de professeure universitaire en photographie. J’utilise la photographie pour recadrer la réalité et dépasser les frontières du langage traditionnel. J’aime créer des scénarios alternatifs et je m’intéresse à la manière dont les photographies ont un impact sur la construction de l’imagerie collective. J’interviens sur la surface photographique et je m’approprie des images préexistantes, en analysant des événements historiques considérés comme des moments clés dans l’évolution de l’homme. Mon but est d’établir une nouvelle narration visuelle, capable de repenser le concept même du document d’archive.
Quelques mots quant à ta série The Universe Makers ?
J’ai commencé à travailler sur ce projet en 2016. Avec The Universe Makers je voulais réaliser une enquête sur les modèles représentatifs véhiculés par la culture pop, la science-fiction et les médias. Dès l’origine, j’ai été intriguée par l’idée que si le document photographique a constitué une preuve de la conquête de l’espace, la science-fiction a aussi contribué à mettre en place des fantasmes erronés. Nous avons une idée d’une galaxie extérieure infinie qu’il faut explorer, étudier et coloniser.
Dans quel contexte as-tu pensé cette série ?
L’avenir de la civilisation est un sujet de préoccupation pour l’humanité. De la diffusion à la télévision du premier pas de l’homme sur la Lune en 1969, à la récente mission de Mars UN promettant la possibilité d’une vie humaine sur Mars, la conquête de l’espace semble davantage réelle. Les documents visuels recueillis au cours des dernières années auprès des institutions et des centres de recherche ont joué un rôle fondamental. Ils ont avancé des représentations de l’univers et la faisabilité de son exploration.
Quel a été ton processus de création durant ce travail ?
La série a été conçue sous la forme d’une installation à plusieurs niveaux. Elle comprend des textes, des objets sculptés, des images d’archives, des photographies ainsi qu’un livre-photo. Elle est divisée en cinq sections principales intitulées In event of Moon Disaster, The day the Earth Stood Still, The Stars, my Destination, Earthman Come Home et Time and Again. La plupart des titres ont été empruntés à des romans de science-fiction. Les archives de la N.A.S.A, qui a maintenant numérisé ses documents, ont constitué la source principale de renseignements. J’ai aussi acheté des photos auprès de vendeurs privés sur e-bay. J’ai ensuite utilisé des matériaux très rudimentaires comme une couverture percée pour représenter un ciel étoilé ou encore des matériaux de construction pour reproduire des surfaces de planètes. L’idée derrière ces interventions était de conduire le spectateur à un état d’ambiguïté – entre fiction et réalité.
Avais-tu d’autres références en tête?
J’avais aussi deux références principales lorsque j’ai commencé à enquêter sur la représentation de l’espace dans les médias et la culture. La série de science-fiction de la fin des années 1960 Twilight Zone et La Guerre des Mondes (1898) de H.G. Wells mettant en scène une attaque d’aliens sur Terre ont provoqué une hystérie massive dans les États-Unis.
S’agissait-il de déformer la réalité ?
J’ai étudié la manière dont ces documents ont influencé nos croyances, les fausses conceptions et les scénarios construits. À partir de ces hypothèses, j’ai rassemblé des documents et des images pour les intervenir afin de contester leur authenticité et leur rôle informatif. J’ai établi un dialogue entre les documents originels et les images faussées, transformant les preuves factuelles en scénarios irréalistes. D’ailleurs, je voulais défier le regard du spectateur d’une manière ou d’une autre, invitant les gens à se questionner sur ce qu’ils regardent dans cet ensemble d’images.
Les images qui en résultent sont-elles « fausses » ?
Je ne suis pas vraiment sûre que « faux » soit le terme approprié. Les images qui ont résulté de mes interventions questionnent la relation entre la fiction et la vérité. Pendant que je faisais des recherches d’images pour le projet, j’ai trouvé beaucoup de preuves considérées comme officielles mais qui sont pourtant éloignées de la réalité. De nos jours, je ne saurais plus différencier le vrai du faux. En raison de la prolifération numérique des images, cette relation devient de plus en plus compliquée et fragile.
Pourquoi est-il intéressant de simuler ou d’intervenir sur une photo ?
Intervenir sur des images me permet de recadrer des récits préexistants et de les façonner avec une logique différente. Cela remet en question la validité du concept de mémoire et de perception collective. Mon travail joue intentionnellement avec cette frontière fragile entre ces dimensions. Je n’ai jamais vraiment pensé à trouver un juste équilibre puisque la frontière entre réalité, fiction et artifice est mince.
© Bianca Salvo