Atterrissage à Copenhague, trajet à bord de l’Oresunstag (train reliant le Danemark et la Suède), quelques forêts et lacs plus tard : Älmhult. Bienvenue dans le Small Land d’Emma Burlet. Un monde fait d’enfants qui ont pour point commun de vivre dans le fief d’IKEA. Un témoignage délicat sur une ville-entreprise où règne l’innocence. Entretien avec la photographe française âgée de 27 ans.
Fisheye : Trois phrases en guise d’introduction ?
Emma Burlet : Je suis photographe et vidéaste. J’habite à Paris, et je travaille entre Paris et Lille. Je m’aperçois tous les jours de la chance que j’ai d’exercer un métier en perpétuel renouveau.
Je suis instinctive, voire compulsive – et cela me coûte cher en pellicules ! Je choisis mes sujets en fonction de ce qui m’entoure. J’aime l’interaction avec les gens que je photographie, j’accorde beaucoup d’importance à la perception de la couleur, et je ne suis pas à cheval sur la technique.
Comment t’est venue l’idée de documenter un tel sujet ?
Small Land est le premier projet que je réalise sur une longue période. À côté de mon travail artistique, je fais des photos de mode, tout en collaborant de plus en plus avec la presse. Ma relation au temps est complètement différente pour ces deux axes. Dans le cadre de commandes, tout va vite, tout doit aboutir rapidement, alors que les projets plus « personnels » appellent à la recherche, au développement d’une réflexion, aux changements de cap…
En 2014, alors qu’elle travaillait depuis une quinzaine d’années chez IKEA, ma mère est partie vivre à Älmhult, au sein de la ville siège de l’entreprise. C’est ainsi que j’ai découvert cet endroit très particulier, et à force de m’y rendre, j’ai décidé d’en faire le sujet d’une série.
À quelle fréquence t’es-tu rendue à Älmhult ?
Je n’y ai jamais vécu. Cependant, sur les cinq années où ma famille y a résidé (de 2014 à 2019), j’ai accumulé une présence de plus de six mois. Je restais plusieurs semaines, et mes séjours étaient fréquents.
Comment as-tu procédé une fois sur place ?
La plupart des personnes s’installent à Älmhult pour le travail, et beaucoup d’entre eux viennent de l’étranger.
Je n’ai ressenti aucune difficulté à entrer en contact avec les habitants. J’ai rencontré des expatriés comme des locaux, tous sont habitués à un mode de vie international. C’est une ville qui observe un énorme flux de passage et la notion d’étranger n’a plus tellement lieu d’être, c’est d’ailleurs un aspect essentiel de l’identité de cette ville. Aussi, les habitants sont familiers avec la présence des journalistes ; ils n’ont donc pas fui devant mon boîtier.
Quel est le quotidien d’un ou une photographe en excursion à Älmhult ?
Tout d’abord il ou elle doit s’adapter aux saisons. L’hiver est un peu ardu car il fait nuit à 15 heures et les commerces ferment très tôt. Quant aux habitants, ils ne restent pas dehors à cause du froid. Il est toutefois possible de se poser dans l’unique café de la ville pour essayer de les rencontrer.
Pourquoi avoir choisi de documenter l’impact d’IKEA sur les enfants uniquement ?
J’ai voulu montrer la diversité de la population d’Älmhult. Tant de nationalités y sont présentes…Les enfants offrent un témoignage sans détour, et honnête. Ils n’ont pas les problématiques des adultes. Je voulais étudier l’impact du quotidien dans ce genre de ville entreprise. Comment l’innocence compose-t-elle avec des enjeux dont elle n’a pas même conscience ?
Quel est leur quotidien ?
Comme tous les autres enfants, ils vont à l’école, et ont des activités extra scolaires… Ils sont au contact de dizaines d’autres nationalités, et donc de cultures. Ils sont habitués à manger des plats venant des quatre coins du monde. Tout en eux est empreint d’une notion d’internationalité. Ils déménagent au gré des contrats de leurs parents, et puis il y a le « retour au pays », et les études… Chaque enfant est un jour confronté au fait de quitter ses amis et ses habitudes pour s’en aller. Leurs relations amicales sont bien souvent éphémères.
Qu’est-ce qu’on ressent quand on déambule dans cette ville-entreprise ?
C’est difficile à décrire, car Älmhult reste une ville, avec tout ce que cela induit. Mais on peut observer comme une cloche de verre au-dessus qui fait que ce microcosme répond à une mécanique parallèle. Et sous cette cloche, l’air est composé d’une molécule IKEA.
Les signes IKEA sont quasiment invisibles dans tes images, pourquoi ?
J’ai souhaité garder IKEA à distance dans le projet. La firme en tant que telle est davantage un prétexte ; j’aurais finalement pu travailler sur une autre ville-entreprise. Ce qui m’intéresse ici n’est pas la marque en soi, mais l’impact qu’elle a dans le quotidien de mes sujets. En l’occurrence ils dorment, mangent, étudient… Ils vivent avec l’entreprise en toile de fond.
Peux-tu me commenter l’image de cette petite fille portant un bob ?
Il s’agit de ma soeur, Nora. Ma mère a toujours apporté des produits dérivés à la maison. Parmi ceux-ci ce bob, des écharpes, et bien d’autres accessoires. Quand tu as des parents travaillant chez Ikea à Älmhult, tu as nécessairement ce genre d’objets !
Une rencontre particulièrement marquante que tu souhaiterais partager ?
Camille, une jeune Française qui avait alors 18 ans, et sa soeur, Clarisse (à droite sur le dyptique ci-dessous) sont le fruit d’une union IKEA (couple de salariés IKEA, formé sur le lieu de travail. Elles ont vécu dans plusieurs pays avant d’emménager à Älmhult où leur famille réside depuis quelques années désormais. À l’époque de notre rencontre, elle se préparait à quitter sa famille pour étudier aux Pays-Bas. Elle incarne le caractère international des jeunes d’Älmhult.
© Emma Burlet