Du pain et des jeux pour le peuple de Fos-sur-Mer

07 juillet 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Du pain et des jeux pour le peuple de Fos-sur-Mer

Exposées jusqu’au 29 août au sein de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, trois diplômées présentent leurs travaux de fin d’études. Regard sur Des idées fausses d’Emma Riviera – une exploration sensible et militante d’une commune pleine de paradoxes.

Chaque année, à l’occasion des rencontres d’Arles, un jury désigne les travaux qui méritent une Attention Particulière parmi les projets de fin d’études des diplômés de l’ENSP. Cette année, les travaux d’Anyssia Bidout, Cédrine Scheidig et Emma Riviera ont été retenus. Malgré les écarts dans les écritures et les sujets, les trois explorent les liens intangibles qui relient une communauté. La première s’intéresse, par un mélange de créations plastiques et instants du quotidien, à l’objet automobile et l’imaginaire social, politique et culturel qui gravite autour. La deuxième – également lauréate du prix Dior 2021 de la photographie et des arts visuels pour jeunes talents – explore, avec A Life In-between, la « troisième île » constituée par les populations caribéennes habitant les périphéries parisiennes. Enfin, la troisième met en exergue la complexité de Fos-sur-Mer dans Des idées fausses. Une ville côtière, située entre Arles et Marseille, « à la fois riche par les taxes provenant des usines et pauvre car ses habitants travaillent dans les industries alentour », raconte l’artiste. Partie à la rencontre des Fosséens dans leur vie quotidienne, Emma Riviera capture des moments de convivialité dans les fêtes populaires, les temps libres à la plage ou encore sur les ronds-points, symboles de leur engagement militant de gilets jaunes.

Après avoir fait des études de cinéma à Paris, Emma Riviera s’est tournée vers le 8e art pour se libérer des fortes contraintes et coûts de production. Mais loin d’être une pratique solitaire, la photographie est devenue une excuse pour aller à la rencontre des gens. C’est alors au cours de ses études à l’ENSP d’Arles, qu’elle s’est intéressée à Fos-sur-Mer – une ville pleine de paradoxes. « Comme l’a titré un journal local, Fos-sur-Mer c’est : « Le ciel, les oiseaux et le cancer ». C’est comme le Texas là-bas », s’exclame-t-elle. Et en effet, autrefois une commune calme et portuaire, elle a attiré à partir des années 1990 une lourde industrie métallurgique et pétrochimique. Malgré son enrichissement certain, la ville est devenue le bassin de nombreux scandales écologiques, comme l’illustre le documentaire sorti en 2019, Fos-sur-Mer : les révoltés de la pollution, sur France 3 Provence-Alpes-Côte-d’Azur. En tapant le nom de la ville sur internet, un article publié hier remonte : « ArcelorMittal à Fos-sur-Mer condamné pour avoir enfreint la loi sur les émissions de polluants » (France Bleu)… Des entreprises qui donnent une mauvaise réputation mais qui enrichissent grandement la commune avec les nombreuses taxes écologiques.

© Emma Riviera© Emma Riviera

La supercherie politique

« En m’intéressant au quotidien de la ville, j’ai réalisé que de nombreux évènements étaient financés par la même entreprise »

, explique Emma Riviera. On comprend rapidement que pour apaiser les tensions, la commune investit dans des fêtes locales. Retour au « Panem et circenses » (Du pain et des jeux) attribué au poète romain Juvénal ? Avec ses bals pour retraités, ses concours de chiens ou encore ses lotos, la commune ne manque définitivement pas d’imagination pour divertir ses habitants. Une situation nouvelle pour cette cité médiévale et foncièrement ouvrière aujourd’hui. Pas tout à fait un reportage, ni un projet documentaire, Des idées fausses se dresse comme un projet partagé avec ceux qui vivent ces contradictions au quotidien. Loin de réaliser des images léchées qui subliment les habitants, la photographe saisit des scènes brutes, parfois au flash éclatant, qui expose sans compromis, la supercherie de ces politiques. Quand le divertissement semble être la principale préoccupation des élus de la commune, il n’est pas étonnant que l’autrice s’attarde sur l’évident clientélisme politique qui s’y opère.

Une mascarade bien trop visible si on en croit les nombreuses luttes sociales qui s’y déroulent – particulièrement présentes depuis 2018. Comme le travail a été entamé cette même année, des liens forts ont été noués entre Emma Riviera et des gilets jaunes, très actifs autour de la commune. Mais cette présence devait être diffuse : il ne s’agit pas de centrer toute l’attention sur cette lutte, mais de faire exister  ce contexte en arrière-plan. La couleur fluo des gilets jaunes apparaît donc, ici et là, à travers les images, comme toile de fond synthétique d’une communauté imbue de contradictions. Elle est l’étendard qui nous rappelle « la tension derrière la fête ». « Je voulais aller à la rencontre de ceux qui y vivent et travaillent pour montrer une autre image de la ville. Fos-sur-Mer est partagée entre un paysage idyllique et industriel – entre des luttes et des échappées. Ce sont ces échappées que j’ai voulu saisir », explique l’autrice. Exposée dans l’école où elle a imaginé ce projet, Des idées fausses d’Emma Riviera sonne comme un rappel éclatant du militantisme de la jeune photographie contemporaine.

© Emma Riviera© Emma Riviera
© Emma Riviera© Emma Riviera
© Emma Riviera© Emma Riviera
© Emma Riviera© Emma Riviera

© Emma Riviera© Emma Riviera

Des idées fausses © Emma Riviera

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