« Si la Transnistrie est un point d’entrée, j’essaye de voir plus large »

21 décembre 2017   •  
Écrit par Anaïs Viand
« Si la Transnistrie est un point d’entrée, j’essaye de voir plus large »

Anton Polyakov, 27 ans, vit et travaille en Transnistrie − une république autoproclamée, séparatiste de la Moldavie et située le long de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine. Entre 2012 et 2017, il documente le quotidien d’habitants bien « réels » et en quête de repères. Pour Fisheye, il revient sur sa série Tansnistria Conglomerat.

Fisheye : Quand et comment as-tu découvert la photo ? 

Anton Polyakov : Je me suis intéressé à la photographie documentaire en 2013. J’ai découvert le médium grâce à un atelier qui s’est tenu à Chisinau, en Moldavie, car il y a très peu d’établissements enseignant la photographie en Transnistrie. Là-bas, j’ai rencontré des photographes et nous avons échangé sur mon travail. J’ai poursuivi mon apprentissage sur Internet.

Que représente la photographie pour toi ? 

La photographie me permet de voir de nouveaux endroits et de nouvelles personnes qui sont comme mes guides. Certaines rencontres se transforment en histoires et me permettent de mieux connaître mon pays. La photo m’amène à m’interroger sur moi-même aussi. Quelle est ma nationalité ? Qui seront mes enfants ? Si la Transnistrie est un point d’entrée dans mon travail, j’essaye de voir plus large. 

© Anton Polyakov

As-tu développé une approche photographique spécifique ? 

Pour moi, à chaque projet nécessite une nouvelle approche photographique. Je n’aime pas me résoudre à un style unique. À l’origine de chacun de mes projets, je définis des  points clés sur lesquels m’appuyer. Que vais-je raconter ? Quelles questions soulever ? J’arrête ce qui est le plus important pour moi. Actuellement, je m’intéresse à la mémoire. La mémoire historique comme la mémoire culturelle. Je m’intéresse aussi à la jeunesse. J’aime documenter la nouvelle génération née après l’effondrement de l’Union soviétique. À qui et à quoi s’identifient-ils ? Que doivent-ils affronter dans leur vie quotidienne ? Je m’interroge sur tout cela. 

Quelle est l’histoire de ta série, Tansnistria Conglomerat 

Je veux montrer la vie des gens ici, en Transnistrie à travers différentes époques. Comment vivent-ils sur cette étroite bande de terre s’étirant le long de la rive gauche de la rivière Dniester longue de 200 km et large de 30 km. Pour certains, la Transnistrie n’est que la continuité de l’Union soviétique et pour d’autres, comme moi, c’est un nouveau pays. On dit souvent que la Transnistrie est un « pays qui n’existe pas ». Pourtant, il y a des gens réels qui vivent ici et qui se sont adaptés à la situation géopolitique. Transnistria Conglomerat  se compose de deux chapitres. J’ai essayé d’illustrer le mode de vie d’un habitant de Transnistrie selon mon histoire personnelle et des archives familiales. Aussi, j’ai souhaité refléter le multiculturalisme de la région. Car de nombreuses nationalités se concentrent ici, c’est une grande particularité. Ce territoire était autrefois habité par différents peuples (Allemands, Arméniens, Polonais, Bulgares…). Aujourd’hui, ce territoire est un mélange de cultures et de traditions. Ma mère est originaire de Sibérie, mon père d’un village en Ukraine, et moi je suis né dans un nouveau pays. Et à l’âge de 16 ans j’ai reçu un passeport transnistrien.

© Anton Polyakov

Des sources d’inspirations particulières ? 

Je découvre constamment de nouveaux noms dans le monde de l’art contemporain. Par exemple, ce n’est que récemment que j’ai découvert l’œuvre de Christian Boltanski. J’ai beaucoup appris de son travail sur la mémoire. Aussi, je me suis inspiré d’un livre reçu de ma grand-mère. Un ouvrage dans lequel des photographes soviétiques ont essayé de documenter la vie quotidienne des habitants de Tiraspol à l’époque soviétique. J’ai pu grâce à lui me téléreporter et me plonger dans une époque lointaine.  

Et un souvenir particulièrement marquant ? 

Chacune des rencontres a eu un impact sur moi. Mais il y a eu un souvenir puissant, un habitant d’Hrushka, un petit village au nord de la Transnistrie. Lorsqu’il était enfant, sa mère s’est noyée dans la rivière Dniester et a donc grandi avec son père et sa sœur. Comme il n’y a pas assez de travail dans le village, il a dû effectuer très tôt les tâches ménagères, remplaçant son père parti travaillé dans un pays voisin. J’ai trouvé à travers cette rencontre un nouveau sujet que je réalise actuellement avec ma collègue Anna Galatonova.

Qu’as-tu appris en réalisant cette série ? 

En plus de comprendre davantage la région dans laquelle je suis né et dans laquelle je vis. J’ai noué de véritables liens au territoire. Et malgré toutes les difficultés et les problèmes qui existent ici, je pense que j’ai eu de la chance d’être né ici.

© Anton Polyakov© Anton Polyakov© Anton Polyakov© Anton Polyakov

© Anton Polyakov

© Anton Polyakov© Anton Polyakov© Anton Polyakov© Anton Polyakov

© Anton Polyakov

Explorez
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Totems de mémoire en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 30 juin 2025 : sur les cimaises
Lesbians Unite, Revolutionary Women’s Conference, Limerick, Pennsylvanie, octobre 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Les images de la semaine du 30 juin 2025 : sur les cimaises
Cette semaine, dans les pages de Fisheye, les images s’accrochent sur les cimaises de divers espaces d’expositions à Paris et ailleurs...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Arles 2025 : à la Galerie Triangle, la jeunesse a le dernier mot
© Nicolas Serve
Arles 2025 : à la Galerie Triangle, la jeunesse a le dernier mot
À l’occasion des Rencontres de la photographie d’Arles 2025, la Galerie Triangle revient avec GÉNÉRATION, un événement dense et...
05 juillet 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
L'été photographique de Lectoure : rassembler par l'image
Parce que. Ici., 2021-2025 © Anne Desplantez & les enfants du Sarthé
L’été photographique de Lectoure : rassembler par l’image
« Ensemble », l’édition 2025 de L’été photographique de Lectoure, met à l'honneur le collectif. Du 12 juillet au 21 septembre 2025, la...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nous autres, une ode à l'amitié et à la mémoire queer
Autoportrait avec JEB, E. 9th Street, New York, 1970 © Donna Gottschalk, Courtesy de l’artiste et de Marcelle Alix
Nous autres, une ode à l’amitié et à la mémoire queer
Avec Nous Autres, Donna Gottschalk et Hélène Giannecchini avec Carla Williams, présentée jusqu’au 16 novembre 2025, le Bal signe une...
04 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger