Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs

Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Totems de mémoire en forêt © Alexandre Dupeyron
Série éncadrée, noir/blanc.
Série encadrée, noir/blanc © Alexandre Dupeyron

À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu, du collectif LesAssociés, pose une question simple : que faire pour que cela ne se reproduise plus ?

L’été 2022 a laissé des traces profondes en Gironde. Les incendies de La Teste-de-Buch et de Landiras ont ravagé plus de 29 000 hectares de forêt et bouleversé un territoire entier. Face à cette catastrophe, le collectif LesAssociés répond avec 600° – La forêt après le feu, une exposition immersive présentée à l’écomusée de Marquèze. Photographies, objets brûlés, témoignages, vidéos, sculptures : le projet prend la forme d’un parcours sensible, déployé à la fois dans les salles du musée et sur les lieux mêmes des incendies. Trois cabanes, conçues par l’architecte Emma Penot, y ont été installées pour accueillir certaines œuvres, en écho direct au terrain brûlé. 600° ne se veut pas une exposition close. Elle interroge autant qu’elle montre. C’est un projet de lenteur et de densité, une tentative de construire des récits, non pas sur, mais avec les lieux, les personnes et les histoires. Et toujours, en creux, cette question : que faudrait-il faire pour que cela n’arrive plus ?

Photographies historiques en série
Photographies historiques en série © Alexandre Dupeyron
Mur photographique sur palettes © Alexandre Dupeyron

Témoigner du réel

Pas de signatures visibles. Juste des œuvres, offertes au regard. Dès l’entrée de l’exposition, en très grand format, les photographies d’Olivier Panier des Touches. Ses images de la forêt d’Hostens inversent tout : le ciel devient sol, les arbres couchés dessinent des lignes brisées. On perd ses repères. Des blessures ouvertes qu’on observe sans pouvoir les refermer. Suivent les photographies de Michaël Parpet, qui saisit les formes végétales réapparues dans les zones brûlées. Son travail, analogique, en noir et blanc, capte des détails infimes du vivant, dans l’attente fragile d’un renouveau.

Joël Peyrou et Alban Dejong présentent Paroles et visages des cendres, un dispositif associant portraits photographiques installés sur des palettes en bois brut, en face d’extraits de témoignages punaisés au mur, sur papier kraft. Des paroles brutes, sobres, qui résonnent avec les regards photographiés. Une œuvre discrète, marquée par la retenue.

Un triptyque vidéo projette en boucle 428 images collectées à partir des téléphones des habitant·es du territoire meurtri. Elles apparaissent sur trois écrans juxtaposés, dans un dispositif sobre : des mains tenant un téléphone, filmées en gros plan. Floues ou nettes, brutes, elles n’ont rien d’esthétique. Elles témoignent d’un instant vécu. Une mémoire collective, fragile, restituée sans filtre. Ce n’est qu’un début. D’autres archives, de grands formats, des vidéos discrètes, mais percutantes complètent le dispositif. Une première salle, entre écrans et photographies, donne la mesure de l’ampleur comme de la retenue du projet.

Témoignages écrits sur mur.
Témoignages écrits sur mur © Alexandre Dupeyron
Archives presse en enfilade.
Archives presse en enfilade © Alexandre Dupeyron
Objets calcinés sous vitrines.
Objets calcinés sous vitrines © Alexandre Dupeyron

Ce qu’il reste

Plus loin, Élie Monferier présente une série d’objets calcinés, reproduits en grands tirages bruns : cassette audio, boîte, fragments du quotidien. Tous ont été ramassés sur place. Ce ne sont pas des images spectaculaires, mais des restes, des indices muets. Une cicatrice à ciel ouvert, un passé qui persiste. Suit une grande fresque où tout se mêle : visages, matières, sons, paysages. Le feu a tout bouleversé, jusqu’à nos repères.

Alexandre Dupeyron sculpte avec ce qui a brûlé. Un tronc devient une colonne, mi-bois mi-béton. Une série d’images en gomme bichromatée prolonge cette matérialité transformée : texture granuleuse, éclats d’un monde touché par le feu. En juillet 2025, une partie de ce travail sera présentée aux Rencontres d’Arles à la Fondation Manuel Rivera-Ortiz. Une manière de faire circuler cette expérience, de la confronter à d’autres récits, d’autres territoires.

Tronc calciné, images murales.
Tronc calciné, images murales © Alexandre Dupeyron
Livre de l'exposition 600°.
Livre d’exposition de 600° La forêt après le feu publié par Corps 14 éditions

Voix et images

Pas de mise en scène, pas de narration appuyée. Juste des voix, des images partagées sans détour. Le film photographique, réalisé par Cyrille Latour et Frédéric Corbion, prennent la forme d’un diaporama de 52 minutes. La prise de son et le design sonore sont en réalité signés Lucie Dèche. Pendant deux ans et demi, l’équipe a mené une enquête de terrain : arpenter les zones brûlées, recueillir la parole, documenter l’après. Le film croise images fixes, sons d’ambiance et témoignages d’habitant·es sinistré·es. Simple et bouleversant, il propose une autre entrée dans le récit. Une manière d’écouter ce qui a été vécu, de sentir ce qui reste.

600° se prolonge par un livre de 280 pages publié par Corps 14 éditions. Pensé comme un écho à l’exposition, l’ouvrage articule textes, images et regards croisés : anthropologie, photographie, sylviculture, géographie, littérature. Le feu y est traité autant comme événement que comme révélateur. Divisé en deux parties – Feu couvant (portfolio photographique) et Sentiers de recherche (textes critiques et sensibles) – le livre fait dialoguer les récits sans les illustrer. Un objet dense, collectif, où chaque voix prend part au travail de mémoire.

Incendies documentés en images
Incendies documentés en images © Alexandre Dupeyron
À lire aussi
600° : à Bordeaux, LesAssociés plongent dans les décombres des incendies
© Alban Dejong
600° : à Bordeaux, LesAssociés plongent dans les décombres des incendies
Jusqu’au 17 mars 2024, le collectif LesAssociés présente l’exposition 600° au cœur de l’Espace Saint-Rémi, à Bordeaux. Un récit choral…
15 février 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Delphine Gatinois capture les feux de la vallée de Thann
© Delphine Gatinois
Delphine Gatinois capture les feux de la vallée de Thann
Fruit d’une résidence dans la vallée du Thann, en Alsace, la série Passer l’hiver de Delphine Gatinois s’attache à documenter la…
24 janvier 2025   •  
Écrit par Hugo Mangin
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle…
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Explorez
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
© Fisheye Magazine
Hommage à Sebastião Salgado, humaniste soucieux de la nature
Sebastião Salgado est décédé ce vendredi 23 mai 2025 à l’âge de 81 ans. Tout au long de sa carrière, le photographe a posé un regard...
26 mai 2025   •  
Écrit par Eric Karsenty
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
© Aletheia Casey
Dans l’œil d’Aletheia Casey : le rouge de la colère et du feu
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil d’Aletheia Casey, dont nous vous avons déjà parlé il y a quelques mois. Pour Fisheye, elle...
28 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
© Thomas Amen
Les images de la semaine du 21 avril 2025 : la Terre à l’honneur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye célèbrent la Terre. Dans des approches disparates, les photographes évoquent...
27 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker : le bonheur d’être seul dans sa tête
Le général Augusto Pinochet portant le cercueil du gouverneur de la province de Santiago, Carol Urzúa, Santiago, Chili, 31 août 1983 © Marie-Laure de Decker
Dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker : le bonheur d’être seul dans sa tête
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Pablo Saavedra de Decker. À l’occasion de la rétrospective que la Maison...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #550 : Guillaume Hutin et Ali Beşikçi
Masumiyet © Ali Beşikçi
Les coups de cœur #550 : Guillaume Hutin et Ali Beşikçi
Guillaume Hutin et Ali Beşikçi, nos coups de cœur de la semaine, ont au centre de leur pratique la notion de dialogue. Si le premier fait...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 7 juillet 2025 : sous le soleil arlésien
The Last Cosmology © Kikuji Kawada
Les images de la semaine du 7 juillet 2025 : sous le soleil arlésien
C’est l’heure du récap ! À l’occasion des Rencontres d’Arles, nous avons sélectionné une série d’expositions, aux sujets et...
13 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Ma yëë tunjoty, ma yëë kopkjoty, 2020. © Octavio Aguilar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Parallel Oaxaca.
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Pour la deuxième année consécutive, les Rencontres d'Arles mettent en lumière les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer à...
12 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine