Photo-Journal ? Magazine ? Fanzine ? Record est un ouvrage à la croisée des styles. Il est avant tout un journal de terrain collector à travers lequel le photographe japonais Daido Moriyama nous livre ses errances urbaines.
Cologne, Anvers, Oslo ou encore Taipei, Florence et Marseille : Daido Moriyama a voyagé aux quatre coins du monde et partage plus de 400 pages de journal de voyage intitulé Record. Il s’agit d’un fac-similié rassemblant trente numéros de la revue du même nom créée en 1972. Il fait état, dans ce beau coffret, de ses errances urbaines. Car en plus de cultiver un don pour la photographie, il excelle dans la « chasse urbaine ». Et la rue telle qu’il la voit n’est pas faite que de passants et d’immeubles, il y a aussi des objets insolites. Avec lui, la pantoufle de verre se transforme en escarpin sanguinolent et les carcasses repérées par les corbeaux ne sont que des poubelles abandonnées sur la sombre chaussée. Et même si la majorité de ses images sont en noir et blanc, Record demeure très chaleureux. Son attrait pour la lumière rend cette balade photographique délectable. Pour Daido Moriyama, impossible de dissocier la ville et la lumière. « C’est peut-être une affaire de sensualité raisonnablement abstraite » précise-t-il dans son cahier n°35. Dans cette quête, il s’inspire, entre autres, de quelques bijoux littéraires. Lumière d’août de Fauklner est par exemple l’un de ses romans préférés.
Paysage urbain, entre réflexions et souvenirs
« Dans cinquante ans, nos dernières créations architecturales seront grotesques et en ruine, le paysage urbain aura subi des modifications plus impressionnantes que nous ne pouvons l’imaginer, et les rues seront peuplées d’une espèce humaine que nous ne reconnaitrons pas aujourd’hui ». À quoi ressembleront nos villes quand nous aurons quitté ce monde ? Et qui occupera nos rues ? Les textes accompagnant Record dévoilent les préoccupations du photographe, philosophe à ses heures perdues. Outre l’urbain, c’est à l’humain qu’il est sensible. « Tout en dirigeant mon appareil vers des gens nés aux confins de plusieurs groupes ethniques, je me suis perdu dans des spéculations hasardeuses sur l’héritage commun de l’humanité, même si je savais très bien que nous sommes tous différents ». À Marrakech, ses images interrogent la notion de communauté. Record recense quelques souvenirs intimes. Il nous révèle ainsi ses relations entretenues avec le photographe ami et rival, Takuma Nakahira ou ses besoins incontournables dans sa quête du bonheur : « Je suis seulement heureux dehors, un appareil à la main, car c’est sans doute le seul endroit où ma véritable identité s’affirme ». Daido Moriyama est un des maîtres de la « street photography », cet ouvrage le confirme amplement.
© Daido Moriyama
Record, Daido Moriyama, Éd. Textuel, 65 €, 424 pages.