De la réalité augmentée à la 3D en passant par les hologrammes, de nombreuses technologies permettent de brouiller les frontières entre le vrai et le faux, entre la réalité et la fiction. À la grande joie des artistes qui, à l’instar d’Aaron Duffy, cherchent à comprendre comment ces illusions d’optique pourraient nous être bénéfiques. Cet article, rédigé par Maxime Delcourt, est à retrouver dans notre dernier numéro.
Le monde est une illusion que les artistes rendent vraie, à moins que ce ne soit l’inverse. S’il est difficile d’affirmer laquelle de ces théories est la plus juste, il est en revanche évident que le trompe-l’œil n’a cessé d’intriguer artistes et spectateurs, de l’Antiquité à nos jours. Au point que l’on parle de certains street artistes (Peeta, Vile, Leon Keer) comme d’illusionnistes faisant de leurs œuvres des jeux interactifs où les lettres 3D s’animent et entraînent le spectateur dans une autre dimension. Un musée de l’illusion a même ouvert ses portes à Paris, et certains auteurs de l’art numérique s’intéressent à la question, comme s’ils voulaient créer une interaction entre leurs œuvres, le lieu où elles se trouvent et le public. C’est le cas, entre autres, d’Aaron Duffy, spécialisé dans l’expérimentation visuelle, dont certains travaux figurent dans les collections du MoMA, à New York.
L’Américain s’est notamment intéressé à la façon dont l’art vidéo accorde de plus en plus d’importance aux illusions d’optique. Avec en tête, des questionnements comme : un regard plus appuyé sur ces dernières pourrait-il rendre les gens plus à même de comprendre leur prochain ? Voire à être plus créatifs ? Comment l’art vidéo peut-il intégrer des illusions visuelles ? Et de quelle manière notre cerveau les traiterait-il ? Pourraient-elles avoir un effet positif sur la société ? Aaron Duffy, qui dirige également l’agence de communication SpecialGuest, a bien conscience du caractère ludique des illusions d’optique auprès du grand public. C’est pourquoi il considère que le monde des beaux-arts et celui de la publicité ne sont pas si éloignés, car dans les deux cas « il s’agit de s’amuser, argumente-t-il. Avant d’ajouter : Il faut bien se rendre compte que tous les artistes de la Renaissance – Michel-Ange, Giotto, Raphaël – étaient des artistes commerciaux : ils gagnaient leur vie en créant de l’art pour le peuple, et non pour les musées, les galeries ou le marché de l’art. »
© Extrait du clip d’OK GO, The writing on the wall, Aaron Duffy
Hors réalité
Les illusions d’optique confirment les paroles de Picasso qui affirmait que « tout ce qui peut être imaginé est réel », et elles démontrent dans le même temps que l’œil humain aime se laisser berner, et comprendre dans la foulée pourquoi il s’est laissé abuser. Un paradoxe qui prend une nouvelle dimension avec l’émergence des nouvelles technologies comme la 3D, la réalité virtuelle, la réalité augmentée ou des logiciels tels que Photoshop. Ce dernier est d’ailleurs l’outil favori de Justin Peters, un artiste numérique surréaliste qui fusionne réalité et imaginaire, transformant la banalité de notre monde en un univers fantaisiste, poétique, mais toujours connecté aux problématiques actuelles. « Je ne veux pas que mes images dépeignent la réalité, confie-t-il au site Insider. J’espère que les gens qui font l’expérience de mon travail s’arrêtent et découvrent un monde nouveau, différent, qui les encourage à repenser la nature. »
C’est là toute la beauté des illusions : rendre amusante une information visuelle que l’on sait fausse, mais que l’on se plaît à croire, « ne serait-ce que pour le plaisir de comprendre les limites de notre perception », précise Aaron Duffy. Et de préciser: « Les illusions sont un pépin dans notre esprit, et j’aimerais que ce pépin soit exploité. Lorsque vous voyez une illusion, vous avez la preuve que votre cerveau peut croire à 100 % ce qu’il voit, pour ensuite comprendre qu’il a tort à 100%. Les illusions nous démontrent d’une manière simple que nous avons besoin de davantage de points de vue avant de décider que nous avons vraiment raison. Au point où je me demande si les illusions visuelles ne pourraient pas être une forme de thérapie pour ouvrir davantage l’esprit des gens. »
© Periscope Stares, Aaron Duffy
Entre fiction et poésie
En guise d’exemple, Aaron Duffy cite la manière dont notre cerveau perçoit l’information lorsque nous lisons, expliquant que plus notre niveau de lecture est bon, plus nous faisons confiance à la forme du mot pour le reconnaître, sans prendre le temps de le lire dans son entièreté. « Parfois, nous reconnaissons même la forme d’une phrase entière plutôt que de prendre en compte chaque lettre, et c’est tant mieux. Dans le cas contraire, cela rendrait la lecture beaucoup plus lente. Notre cerveau se fie volontiers aux formes, ce qui explique pourquoi nous sommes si sensibles aux illusions visuelles. » De nombreux supports permettent aujourd’hui aux artistes de laisser libre cours à leur créativité et de susciter l’illusion dans leurs travaux. Comme dans le domaine de la vidéo qui permettrait, selon Aaron Duffy, « certaines des illusions les plus étonnantes ». Il s’explique : « La vidéo non stéréoscopique est un peu comme un humain borgne. Avec elle, l’homme n’a le droit de regarder les choses que sous un certain angle, ce qui permet de produire un large éventail d’illusions basées sur la perspective et l’échelle. Alors que la photographie peut être limitée, dans le sens où il est impossible de comprendre qu’il s’agit d’une illusion dès le départ. »
L’intérêt d’une illusion visuelle est de raconter une histoire et de faire valoir un point de vue. Raison pour laquelle Aaron Duffy trouve ce jeu sur les perceptions particulièrement utile dans le domaine de la publicité, sans renier pour autant le rôle essentiel que les illusions d’optique jouent dans le monde de l’art. Parce que ces dernières mettent en place des scénarios se jouant de la frontière entre l’authentique et le miracle, et parce qu’elles rendent possible la création d’univers fertiles, troublants de réalisme, et fascinants par les perspectives et l’impression de volume qu’elles déploient.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #43, en kiosque et disponible ici.
© Extrait du clip d’OK GO, The writing on the wall, Aaron Duffy
© Double vision, Aaron Duffy
© Extrait du clip d’OK GO, The writing on the wall, Aaron Duffy
© Double vision, Aaron Duffy
© Extrait du clip d’OK GO, The writing on the wall, Aaron Duffy
© Aaron Duffy