Dans la région des Appalaches, aux États-Unis, des pasteurs pentecôtistes manipulent des serpents venimeux lors des offices religieux. Ces pratiques dangereuses, interdites dans plusieurs États, provoquent régulièrement des incidents mortels. Un reportage de Cyril Abad à retrouver dans notre dernier numéro.
« Ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s’en trouveront bien. »
Tiré de l’Évangile selon Marc, l’un des quatre textes du Nouveau Testament, ce passage de la Bible a inspiré un petit nombre d’églises pentecôtistes qui ont transformé leurs services religieux en séances de manipulation de serpents venimeux. Le serpent a toujours symbolisé le mal depuis le jardin d’Eden, mais les adeptes de la communauté pentecôtiste de ces églises isolées au cœur des Appalaches – la chaîne de montagnes recouvrant une douzaine d’États de l’Amérique du Nord – sont convaincus que l’Esprit saint les protégera du mal.
Lors de la transe du pasteur durant l’office, quand l’Esprit saint « descend en lui », doit être capable de manipuler les serpents, de boire du poison (de la strychnine) et de supporter les brûlures. S’il succombe à une morsure, la communauté conclura alors à un manque de foi. Chris, un ancien charpentier devenu pasteur pentecôtiste, assure un service religieux tous les samedis soir et les dimanches dans sa petite église, au fond d’une vallée montagneuse de Virginie occidentale. Dans cette région sinistrée par la crise du charbon des années 1980, les chiffres sont accablants: la population a diminué de près de 80 % au cours des vingt-cinq dernières années, et quatre maisons sur cinq sont abandonnées. Dans cette partie du pays, qui est aussi la plus touchée par la crise des opioïdes (antidouleurs, dont les effets sont comparables à ceux de l’opium), Chris confesse avoir fondé son église après avoir été sauvé par Dieu de sa dépendance à la méthamphétamine et à la cocaïne. Un grand nombre de ses paroissiens déclarent eux aussi avoir surmonté leur addiction aux drogues et à l’alcool, ajoutant même avoir été guéris de maladies comme le lupus ou de problèmes cardiaques.
Rock & country
Dans la petite chapelle de bois où se rassemblent jusqu’à soixante fidèles, la musique joue un rôle essentiel. Le mélange de rock et de country à plein volume facilite la montée de la transe, et la descente de l’Esprit saint. Musique, chant, danses, pleurs, cris et prédications favorisent l’exaltation des fidèles, et les conduisent à tenir des propos incohérents, comme traversés par des langues incompréhensibles. À ce concert particulièrement sonore, il faut ajouter la partition des serpents à sonnette, choisis au préalable par Chris dans sa cave transformée en vivarium. Certains paroissiens viennent parfois avec des reptiles qu’ils ont eux-mêmes capturés : des serpents à sonnette des bois et des vipères à tête cuivrée – deux espèces mortelles qu’on trouve dans la région. On voit alors les fidèles danser avec eux, les frotter sur leur visage, les tenir à bout de bras ou marcher sur eux pour démontrer leur pouvoir sur les démons… Certains n’hésitant pas à avaler du poison (le plus souvent de la strychnine), ou à se brûler avec une flamme.
Chris avoue avoir peur des serpents, et les jours où l’Esprit saint n’est pas sur lui, il ne les manipule pas. Mais quand il se sent habité, il dit être transcendé et ressentir alors un amour pur et absolu. Une expérience unique et indescriptible. Chris a perdu son père il y a dix ans, et son frère il y a sept ans, morts tous deux d’une morsure de reptile lors d’un service. Il faut préciser que les pasteurs refusent d’être soignés, les traitements médicaux seraient en effet une dénégation de leur foi. On dénombre environ une centaine de décès dus à des morsures lors de services religieux, nous explique Ralph Hood – professeur de psychologie à l’université du Tennessee, qui a étudié cette coutume dans les Appalaches –, ce qui a conduit les autorités à interdire ces pratiques dans plusieurs États comme le Tennessee, l’Alabama et le Kentucky. Les poursuites sont rares et, si la communauté nie faire partie d’une secte, la manipulation de serpents est devenue privée et secrète.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #40, en kiosque et disponible ici.
© Cyril Abad