En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon. Des meurtres qui, dans deux tiers des cas, n’avaient été précédés d’aucune violence conjugale. Ces féminicides, Camille Gharbi les interroge par le truchement d’objets familiers transformés en « armes d’opportunité ». Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
« C’est l’histoire de Marcelle, retraitée, décédée le 2 mars 2017 à l’âge de 90 ans, tuée par son mari à coups de casserole. Ou celle de Thalie, consultante, décédée le 19 août 2017 à l’âge de 36 ans, battue à mort par son conjoint avec un robinet neuf »
, assène Camille Gharbi au sujet des photos de sa nouvelle série Preuves d’amour. Marteau, fil électrique, sac plastique, tournevis, cutter… Les images pourraient laisser croire à un catalogue de bricolage, avant que notre regard ne tombe sur les légendes attenantes: prénom, âge, date du décès et localisation précise en France. La sobriété des informations fait écho au dénuement avec lequel sont photographiés ces vingt objets du quotidien, « armes d’opportunité » utilisées par des hommes pour tuer leur compagne ou ex-compagne entre 2016 et 2017. Les statistiques dénombrent 253 féminicides sur le territoire métropolitain et dans les départements d’outre- mer durant ces deux années, la photographe en évoque 180 sur cette même période.
Éviter le voyeurisme et la victimisation
« L’histoire de cette série part d’un questionnement personnel. J’ai dans ma famille des personnes qui ont été soumises à des violences conjugales »
, explique la photographe qui souhaitait aborder ce sujet en évitant le pathos, le voyeurisme ou la victimisation avec des images violentes. « Un jour, en lisant un fait divers relatant le cas d’une femme qui avait été tuée par son conjoint, l’article décrivait l’objet utilisé pour ce meurtre: un cutter. Ce mot, “cutter”, m’a interpellée parce que j’ai une formation d’architecte et que c’est un objet familier pour moi. C’est ce qui m’a fait prendre conscience de la violence du drame. Les objets m’ont permis de refocaliser l’attention en même temps qu’ils impliquaient une prise de distance », analyse Camille Gharbi.
Cette distance dans la forme est une donnée importante pour la photographe, comme elle l’a déjà montré avec Lieux de vie, une série sur les cabanes de la « jungle de Calais » où les frêles habitations sont présentées hors contexte. « D’un point de vue formel, je trouve intéressant qu’il y ait cette distance, qu’il y ait besoin de faire un cheminement quand on regarde une image. Ne pas avoir l’info tout de suite, être obligé d’observer avec attention, essayer de comprendre et d’analyser pour rentrer dans le sujet. Quand les images sont trop faciles, tu les oublies rapidement », poursuit la photographe, qui évoque les travaux de Raphaël Dallaporta, dont elle se sent proche, notamment la série Esclavage domestique dans laquelle la relation texte-image met en miroir les maisons où ont vécu des femmes exploitées par leurs employeurs, et les récits de leur vie, rédigés par la journaliste Ondine Millot.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #34, en kiosque et disponible ici.
© Camille Gharbi