Armes du quotidien

28 février 2019   •  
Écrit par Eric Karsenty
Armes du quotidien

En France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon. Des meurtres qui, dans deux tiers des cas, n’avaient été précédés d’aucune violence conjugale. Ces féminicides, Camille Gharbi les interroge par le truchement d’objets familiers transformés en « armes d’opportunité ». Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

« C’est l’histoire de Marcelle, retraitée, décédée le 2 mars 2017 à l’âge de 90 ans, tuée par son mari à coups de casserole. Ou celle de Thalie, consultante, décédée le 19 août 2017 à l’âge de 36 ans, battue à mort par son conjoint avec un robinet neuf »

, assène Camille Gharbi au sujet des photos de sa nouvelle série Preuves d’amour. Marteau, fil électrique, sac plastique, tournevis, cutter… Les images pourraient laisser croire à un catalogue de bricolage, avant que notre regard ne tombe sur les légendes attenantes: prénom, âge, date du décès et localisation précise en France. La sobriété des informations fait écho au dénuement avec lequel sont photographiés ces vingt objets du quotidien, « armes d’opportunité » utilisées par des hommes pour tuer leur compagne ou ex-compagne entre 2016 et 2017. Les statistiques dénombrent 253 féminicides sur le territoire métropolitain et dans les départements d’outre- mer durant ces deux années, la photographe en évoque 180 sur cette même période.

Éviter le voyeurisme et la victimisation

« L’histoire de cette série part d’un questionnement personnel. J’ai dans ma famille des personnes qui ont été soumises à des violences conjugales »

, explique la photographe qui souhaitait aborder ce sujet en évitant le pathos, le voyeurisme ou la victimisation avec des images violentes. « Un jour, en lisant un fait divers relatant le cas d’une femme qui avait été tuée par son conjoint, l’article décrivait l’objet utilisé pour ce meurtre: un cutter. Ce mot, “cutter”, m’a interpellée parce que j’ai une formation d’architecte et que c’est un objet familier pour moi. C’est ce qui m’a fait prendre conscience de la violence du drame. Les objets m’ont permis de refocaliser l’attention en même temps qu’ils impliquaient une prise de distance », analyse Camille Gharbi.

Cette distance dans la forme est une donnée importante pour la photographe, comme elle l’a déjà montré avec Lieux de vie, une série sur les cabanes de la « jungle de Calais » où les frêles habitations sont présentées hors contexte. « D’un point de vue formel, je trouve intéressant qu’il y ait cette distance, qu’il y ait besoin de faire un cheminement quand on regarde une image. Ne pas avoir l’info tout de suite, être obligé d’observer avec attention, essayer de comprendre et d’analyser pour rentrer dans le sujet. Quand les images sont trop faciles, tu les oublies rapidement », poursuit la photographe, qui évoque les travaux de Raphaël Dallaporta, dont elle se sent proche, notamment la série Esclavage domestique dans laquelle la relation texte-image met en miroir les maisons où ont vécu des femmes exploitées par leurs employeurs, et les récits de leur vie, rédigés par la journaliste Ondine Millot.

 

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #34, en kiosque et disponible ici.

© Camille Gharbi

© Camille Gharbi

© Camille Gharbi© Camille Gharbi
© Camille Gharbi© Camille Gharbi

© Camille Gharbi© Camille Gharbi

© Camille Gharbi

Explorez
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
© Arielle Bobb-Willis
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
Issue du mouvement de l’avant-garde noire contemporaine que nous présentons dans notre dernier numéro, Arielle Bobb-Willis capture le...
28 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Algorithmes 
sous influence
© Lena Simonne, backstage du show Étam 2024 à Paris.
Algorithmes 
sous influence
Autrefois dominé par les magazines et les photographes, le secteur de la mode s’est transformé sous l’impulsion...
27 mars 2025   •  
Écrit par Anaïs Viand
Focus : capitalisation du corps, tourisme strassé et indépendance
Unprofessional © Matilde Ses Rasmussen
Focus : capitalisation du corps, tourisme strassé et indépendance
Créé par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant
qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la...
26 mars 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l'histoire officielle
Sans titre, 2023. Série Patria Nostra © Julie Joubert. 2023-2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. Prix Découverte 2025 Fondation Louis Roederer - L’assemblée de ceux qui doutent. Présenté par L’Hôtel Fontfreyde – Centre Photographique, Clermont-Ferrand, France.
Finalistes du prix Découverte Fondation Roederer : ébranler l’histoire officielle
Pour la deuxième année consécutive, les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer des Rencontres d’Arles seront exposé·es...
25 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 24 mars 2025 : mode, couleurs et âge adulte
© Lena Simonne, backstage du show Étam 2024 à Paris.
Les images de la semaine du 24 mars 2025 : mode, couleurs et âge adulte
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye évoquent le passage à l’âge adulte, l’importance que peuvent avoir...
30 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Au musée de Pont-Aven, Corinne Vionnet sonde la répétition des images
© Corinne Vionnet
Au musée de Pont-Aven, Corinne Vionnet sonde la répétition des images
Jusqu’au 4 mai 2025, le musée de Pont-Aven présente Écran total de Corinne Vionnet. L’exposition rassemble plusieurs séries de l’artiste...
29 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
© Arielle Bobb-Willis
Arielle Bobb-Willis célèbre la vie
Issue du mouvement de l’avant-garde noire contemporaine que nous présentons dans notre dernier numéro, Arielle Bobb-Willis capture le...
28 mars 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Tour, street style et avortement : nos coups de cœur photo de mars 2025
The Tower © Xiaofu Wang
Tour, street style et avortement : nos coups de cœur photo de mars 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
28 mars 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet