Après treize ans au sein des collections du musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône, et des expériences de commissaire indépendante, Audrey Hoareau a pris la direction du CRP/, le Centre régional de la Photographie Hauts-de-France, en septembre 2021. Une occasion de faire le point sur un parcours cohérent, bien qu’atypique. Ce portrait est à retrouver dans notre dernier numéro.
« Quand j’avais 10 ans, afin de préparer un échange scolaire à Chicago, on nous a demandé de remplir un questionnaire en mentionnant nos centres d’intérêt. J’ai noté que j’aimais les musées alors que je n’en avais jamais visité aucun. J’ai ainsi été accueillie dans une famille auprès d’un conservateur et j’ai eu la chance de parcourir le Museum d’histoire naturelle de la ville, la nuit, sans personne… C’est fou quand j’y repense ! » Une expérience déterminante pour Audrey Hoareau. Ce mercredi, dans le bureau de la directrice du Centre régional de la photographie (CRP/) Hauts-de-France, à Douchy-les-Mines, on décèle les prémices d’un parcours atypique. Née en 1983 à Dijon, Audrey Hoareau a grandi dans le Morvan, près d’Autun. Ses parents et ses grands-parents sont issus de la classe ouvrière, mais elle se dirige vers la culture, un milieu qu’elle découvre lors d’un stage au musée Nicéphore Niépce, à Chalon-sur-Saône. « C’est là que tout a commencé », déclare-t-elle.
Après un DUT en communication et une licence dans les métiers de l’ex- position, elle fait son entrée dans la prestigieuse institution, en 2003, où elle restera treize ans ! « J’ai tout appris au musée. J’ai eu la chance d’évoluer dans une structure en constante réinvention », confie celle qui a appris le 8e art en potassant parmi les 30 000 ouvrages de la bibliothèque, au sein des collections. C’est là-bas qu’une image la marque à tout jamais : Woman Who Died in Her Sleep. Avec cette photo de Jeffrey Silverthorne prise dans une morgue dans les années 1970, elle se retrouve confrontée à l’intensité de la photographie ainsi qu’à la violence de la société. Paradoxalement d’une incroyable beauté. Recherches documentaires, valorisation de la collection, participation aux différents événements du musée dirigé alors par François Cheval, elle collabore notamment à l’exposition de Peter Knapp: The Last Waltz en 2009. « Pendant deux ans, je me suis plongée dans ses 30 000 négatifs, 10 000 diapositives et ses centaines de tirages. Aujourd’hui encore, je m’occupe de son fonds et on s’appelle près d’une fois par semaine. C’est comme un membre de ma famille en même temps qu’un artiste que j’admire profondément. » La passion pour le travail, la modestie et le soin du détail : autant de qualités que le photographe de mode lui a apprises. « Ce qui me touche dans son œuvre ? Ses peintures abstraites que l’on connaît trop peu. »
© Zheng Andong / Photographe de l’exposition Bi Hu Suo organisée au CRP
Audrey Hoareau a toujours été attirée par les à-côtés, en marge d’un entre- soi élitiste. En 2017, elle participe à la fondation du premier musée public de photographie en Chine, à Lianzhou. De 2019 à 2021, elle occupe le poste de directrice artistique de PhotoBasel. À Pékin, elle préfère la province chinoise du Guangdong, et à Art Basel la foire suisse à taille humaine. « Aujourd’hui, je ne suis ni à Paris ni à Lille, mais à Douchy-les-Mines. J’aime ces lieux satellites connectés à la réalité du monde. » Après des années de commissariat en freelance – qui l’ont notamment vu signer la direction artistique du Festival Circulation(s) en duo en 2019, et en solo en 2020 –, elle pose ses valises dans les Hauts-de-France en septembre 2021. « Je n’ai pas vraiment besoin de soleil donc ça va », nous confie la directrice du premier Centre régional de la photographie de France, fondé en 1982 par le photo-club d’Usinor. « J’aime les racines de ce lieu, ses enjeux ainsi que sa collection. Cette prise de poste s’inscrit dans la continuité de mon parcours, et correspond à mon identité », affirme-t-elle.
Sociable et curieuse, Audrey Hoareau décrypte un nouveau territoire depuis neuf mois – un temps de gestation durant lequel elle rencontre les nouveaux partenaires et identifie les artistes présents entre Lille, la Belgique et l’Angleterre. Elle se plonge aussi dans les quelque 9 000 œuvres de la collection. « Un fonds exceptionnel que je souhaite mettre à l’honneur pour l’exposition anniversaire des 40 ans du lieu. Une collection datant des années 1970-1980, particulièrement liée aux mutations de la région du fait de la mission photographique Transmanche. » Avec notamment les œuvres de Mario Giacomelli, Raymond Depardon, Bruce Gilden, Martin Parr, Françoise Nuñez, Anne-Marie Filaire… Audrey Hoareau ne cesse de rappeler combien elle aime travailler en équipe, qu’elle soit commissaire indépendante ou directrice. « Parfois, il suffit de lever la tête et de se connecter aux autres pour régler les problèmes. Assurer la direction d’un tel lieu, c’est porter une responsabilité envers le public et ses équipes, allier le bien-être de chacun à une vision d’ensemble. Ma définition d’un commissaire d’exposition ? Je dirais qu’il s’agit d’un chaînon faisant le lien entre l’artiste, son œuvre et le public. » Si Audrey Hoareau garde les pieds sur terre – son ego n’est pas surdimensionné –, c’est peut-être parce qu’elle ne revendique pas de fibre artistique. « Je ne pratique aucun art, mais je suis parfaitement consciente des problématiques des artistes, notamment parce que je partage ma vie avec l’un d’eux. » Et c’est bien parce qu’elle saisit les difficultés du métier qu’elle défend et accompagne les nouvelles générations d’auteurs et d’autrices.
© Ye Wuji / Photographe de l’exposition Bi Hu Suo organisée au CRP
Dans le cadre de son projet « Valeur refuge », elle présente sa première exposition, Tsavt Tanem (« Je prends ta douleur » en arménien) au CRP/, une réflexion sur l’identité et la double culture engagée par la talentueuse Camille Lévêque. Elle reste cependant sceptique quant aux quotas. Selon elle, ils peuvent pousser à la bêtise : « Après le départ de Sam Stourdzé [ex-directeur des Rencontres d’Arles], j’ai reçu deux appels d’hommes me proposant de constituer un duo pour candidater à la direction du festival. Tous deux estimaient qu’ils n’avaient aucune chance seuls. » Bi Hu Suo. À propos de la photographie chinoise émergente, l’exposition collective dont elle assure le commissariat avec Ruohao Hu, présente une femme et trois hommes (jusqu’au 7 août), mais elle s’en moque. L’essentiel réside dans les prises de risques des artistes et leur façon de « montrer ce qu’on n’a pas le droit de montrer ». Qu’il s’agisse de la question du corps et du genre, ou de la thématique sécuritaire, les quatre Chinois appréhendent notre rapport au monde à travers le symbole de l’abri [signification de Bi Hu Suo en mandarin]. « Il est indispensable d’aller au-delà du décor, d’avoir quelque chose à dire », commente celle qui est en état de veille permanente. L’engagement d’Audrey Hoareau ne se traduit pas seulement dans la définition de la programmation du CRP/. Au quotidien, elle met en place des actions et des projets d’éducation à l’image. « Je veux cibler la petite enfance et les adolescents. C’est auprès d’eux que l’on peut encore agir. On essaie d’être innovants dans la manière d’apprendre à décrypter une image, à s’en méfier. » Un engagement qui se traduit sur le plan personnel aussi. Il y a près d’un an, elle a adopté deux lévriers espagnols, deux rescapés. « Chaque année, en Espagne, 50 000 lévriers sont martyrisés ou massacrés pour la simple raison qu’ils ne sont pas assez performants pour la chasse. Une aberration. Il y a quelque temps, je ne comprenais pas vraiment les gens qui voulaient “posséder” des animaux. Aujourd’hui, je suis heureuse d’avoir pu en sauver deux. Nous ne sommes pas seuls sur Terre.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #54, disponible ici.
© Wang Yingying / Photographe de l’exposition Bi Hu Suo organisée au CRP
© Zhang Zhidong / Photographe de l’exposition Bi Hu Suo organisée au CRP
Audrey Hoareau © Marie Rouge