Exposé à la Croisière, aux Rencontres d’Arles, Julien Lombardi fait de La terre où est né le soleil une fiction atypique peuplée de diverses explorations nous invitant à contempler – et admirer – le paysage. Cet article est à découvrir dans notre dernier numéro.
« Toutes les images faisant partie du projet doivent provenir de la terre sacrée. » Telle fut la seule et unique règle de Julien Lombardi quand il a choisi d’installer son laboratoire d’expérimentation visuelle à Wirikuta, un site désertique situé en altitude, au centre du Mexique. Si l’artiste français se rend régulièrement dans le pays depuis 2015, tout commence un an plus tard, alors qu’il assiste à une cérémonie dans le désert. « Dans ce paysage saisissant, au milieu de cactus vieux de deux cents ans – parfois hallucinogènes, comme le peyotl – étaient réunis des natifs Huichols (peuple indigène), des habitants à l’année, des paysans… bref, des gens de tous profils. Toutes et tous chantaient au coin du feu. » Il se souviendra longtemps de cette nuit blanche mexicaine. « Il me fallait comprendre l’histoire et la particularité du lieu. J’ai par la suite essayé de développer un panel de représentations complet, de montrer la complexité des relations, et donc des points de vue », ajoute-t-il. Car cette terre n’est pas seulement le lieu de pèlerinage pour les Huichols, qui chaque année célèbrent la naissance du soleil, elle attire aussi industriels miniers, touristes en quête de trips psychédéliques, activistes et scientifiques.
Et dans le récit polyphonique de Julien Lombardi, les documents sont presque aussi nombreux que les acteurs. Aux archives nationales se mêlent des documents anthropologiques, des photos satellites ou issues de Google Street View, ou encore des livres de voyageurs. « Ces documents informatifs deviennent ensuite des sources de création », confie l’anthropologue de formation. Et puis, comme s’il inventait une nouvelle strate, il se lance dans la fabrication d’images en ayant recours aux pièges photographiques, ou à la contamination par le soleil ou la poussière, notamment. Ce n’est par exemple qu’à travers le photomontage qu’il parvient à rendre compte d’un mythe local extrêmement difficile à photographier. Muni d’un scanner portable, il constitue une collection de pierres, de végétaux et autre objet trouvé au sol. Une collecte respectueuse de l’environnement, loin de toute extraction définitive.
En questionnant notre relation technique aux autres et aux vivants, c’est notre rapport à l’image et à la représentation qu’il étudie. Si son projet La terre où est né le soleil, exposé depuis l’été dernier aux Rencontres d’Arles, s’est largement démarqué, c’est parce qu’il s’éloigne de tout exotisme et trouve un juste équilibre entre le faire et le dire. Il se reconnaît d’ailleurs dans la « fictocritique », une méthodologie employée par l’anthropologue Michael Taussig alliant théorie et récit. « Il est peut-être intéressant de regarder ce que les Indiens savent faire: c’est-à-dire vivre dans un monde qui leur a été volé », déclarait l’universitaire et anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro. En guise de réponse, le photographe commente modestement : « Évidemment, je suis pour la défense de cette terre, mais ce n’est pas mon rôle d’aller dire aux uns et aux autres ce qu’ils doivent faire. Je ne peux m’empêcher de penser que cela peut nous arriver à tous : nous sommes tous Indiens, prenons garde… » Une fiction non narrative nous invitant à observer la terre pour espérer, un jour, voir naître de nouveaux astres.
Cet article est à retrouver dans Fisheye #55, disponible ici.
© Julien Lombardi