Fifteen shades of China

11 janvier 2018   •  
Écrit par Benoît Baume
Fifteen shades of China

Quinze jours en Chine, quinze jours ailleurs, à la poursuite de la photographie entre la création du musée de Lianzhou et la découverte de vrais talents, sans oublier Xiamen et les belles surprises de Hong Kong. Une claque, une expérience de vie. Récit. Ce reportage fait partie de notre dernier numéro.

Une fois les dates bouclées, ce bloc de quinze jours entre le 25 novembre et le 10 décembre me semblait une montagne monolithique sur le fond bariolé de mon Google Calendar. Décider de ces quinze jours en Chine fut pourtant une évidence. Passage par Xiamen pour le Jimei x Arles Festival en entrée ; Lianzhou Foto Festival et l’ouverture de son musée de la photographie, en plat de résistance ; enfin visite et surprises photographiques à Hong Kong, en dessert. Dur de résister. En arrivant à Lianzhou, on avait presque oublié que le froid pouvait être vif dans cette zone montagneuse au nord du Guangdong. Cette région, située au sud-est de la Chine, est la plus peuplée avec cet ensemble urbain presque continu entre Macao, Canton, Shenzhen, et Hong Kong qui entoure le delta de la rivière des Perles. Mais à Lianzhou, la mer est loin et la ville est la plus pauvre de la région. Pour notre plus grand bonheur, les enseignes internationales y sont très peu implantées et la population est principalement issue des campagnes. La présence à proximité d’un des plus grands abattoirs de chiens pour la consommation humaine rajoute du pittoresque à l’ambiance qui nous avait déjà paru étonnante à notre arrivée. J’étais déjà venu l’année dernière dans ce festival, qui existe depuis treize ans et qui, avec plus de cinquante expositions, avait provoqué en moi un vrai choc tant la qualité de la programmation et des lieux mis à disposition était élevée. Outre une ancienne fabrique de chaussures, de grands entrepôts à grain réhabilités offrent un cadre d’exposition qui rappelle un peu Arles dans l’esprit. D’ailleurs, l’importance que ce festival est en train de prendre en Asie ne fait que renforcer la comparaison.

Un amphithéâtre en plein air a été conçu sur le toit d’une ex-usine repensée par le cabinet chinois O-Office Architecte © Musée de Lianzhou

Découverte de pépites à Lianzhou

En 2016, une exposition de photographes taïwanais avait attiré l’attention. En 2017, ce sont les Japonais, notamment sous la houlette des commissaires invités Lucille Reyboz et Yusuke Nakanishi du festival Kyotographie, qui ont subjugué. On pense au sublime projet de Akihito Yoshida sur son cousin et sa grand-mère qui m’a ému comme rarement, et à Masamichi Kagaya qui a remporté, quant à lui, le prix du Jury pour son travail intitulé Autoradiograph (publié dans Fisheye en mai dernier).

Mais la vraie valeur ajoutée du festival vient des découvertes de photographes chinois qui dégagent une belle énergie, trop rare. En me baladant dans les exhibitions en cours de montage, à la faveur d’une balade en car sans intérêt, je suis tombé sur Shang Liang en train d’installer son exposition aux mille autoportraits, travail qu’il a entamé en 2012. Outre son look d’Iroquois, ce jeune photographe de Pékin propose un discours de fond sur sa démarche artistique. Il s’est lancé dans la photo dont il a fait son métier le 6 août 2017, le jour de ses 30 ans. « J’essaie d’être honnête avec moi-même », nous dit-il. Le morceau de choix à Lianzhou cette année n’était pourtant pas le festival, mais l’ouverture du premier musée public de la photographie en Chine. Sublime par son ampleur et sa structure labyrinthique, cet établissement n’a que peu d’équivalents, en tout cas en France. Sa conception a été confiée à un jeune couple chinois du cabinet O-office Architects qui ont enveloppé une ancienne usine de bonbons d’une structure très alléchante, ce qui a permis de limiter le coût de construction à seulement 1,8 million d’euros. S’intégrant au quartier sans détonner, le bâtiment invite à entrer par ses grands espaces extérieurs qui délimitent avec subtilité et brio les salles d’exposition et les réserves qui se cachent avec malice. Sur le toit, un amphithéâtre en plein air a servi de cadre à la remise des prix et à un concert de rock indépendant, celui d’un jeune duo branché de Canton qui a mixé airs d’accordéon et de guitare.

Zhao Yiping chez elle, Guangzhou, 1989 © Zhang Hai’er
© Zhang Hai’er

Zhang Hai’er photographie les marges de la société (prostitués, transgenres…) un choix courageux à l’époque, en Chine

Si le projet a vu le jour, on le doit à Duan Yuting, la femme forte qui codirige le musée avec François Cheval. Elle négocie avec les autorités et a réussi à sécuriser un budget annuel de fonctionnement de 260 000 euros qui permettra de gérer trois cycles d’expositions par an (avec environ quatre expos à chaque fois), l’accueil du public, des actions de médiation culturelle et des résidences d’artistes. C’est elle aussi qui a dû parlementer face aux tentatives de censure, qui a été particulièrement vive cette année, de la part des autorités au sujet de certaines photos. « Mon plus beau cadeau est la venue en masse du peuple de Lianzhou le lendemain de l’ouverture », commente avec fierté François Cheval. Et il a raison, une institution culturelle chinoise prise d’assaut, ce n’est pas la norme.

Dans cette première livraison du musée, on notera le prolifique Albert Watson, l’expérimentateur Baptiste Rabichon, l’iconoclaste Zhuang Hui et le discret Zhang Hai’er. Ce dernier a proposé une relecture de ses photos de filles. Au risque de méprendre le spectateur, sa femme figure sur plus de la moitié des clichés. « J’ai commencé à dessiner les filles, c’était une manière de les garder avec moi à un moment où, pendant la Révolution culturelle, parler à une fille était un souci. » Lui qui a connu le camp de rééducation de 1974 à 1977 s’est toujours attaché à photographier le non visible : les prostitués, puis les transgenres. Des choix courageux à l’époque en Chine.

© Cai Dongdong

© Cai Dongdong

Jimei, un festival ovni désarmant

C’est finalement au contact de Lianzhou, et avec quelques jours de recul, que l’on a pu apprécier le festival de Jimei x Arles qui fut notre première étape. À Xiamen, que l’on nous annonçait comme le Nice chinois, j’ai eu des difficultés à trouver le centre d’exposition du festival, et plus largement d’ailleurs toute notion de centre-ville. Créé par Sam Stourdzé des Rencontres d’Arles et le centre privé dédié à la photographie Three Shadows – fondé à Pékin par les photographes sino-japonais Rong Rong et Inri –, Jimei x Arles est un ovni désarmant mais de très belle facture. L’événement accueille quarante expositions, dont huit sont issues de la dernière édition de la manifestation arlésienne. On redécouvre entre autres Les Gorgan de Mathieu Pernot (avec qui nous nous sommes découvert une passion commune pour le judo), Superfacial la première expo photo d’Audrey Tautou, Early Works de Joel Meyerowitz, ou encore Iran, année 38, qui réunit soixante-six photographes iraniens et bénéficie d’un accrochage bien plus aéré et agréable que celui de cet été à l’église Sainte-Anne.

Pour nous, le plus intéressant est sans conteste les expositions de jeunes auteurs chinois qui jalonnent le parcours, comme Feng Li, les installations de Siu Wai Hang, très justes, et le travail poignant de Guo Yingguang sur les mariages arrangés – qui a reçu le 1er prix Madame Figaro Chine. Tout cela devrait être visible cet été à Arles. À noter que Three Shadows a créé un lieu permanent sublime de 1 500 m2 pour accueillir les images, à côté du centre d’exposition qui, lui, fait 14 000 m2. Un « hors les murs » remarquable vient compléter la programmation avec le boulot dingue, mais génial, du jeune architecte Wang Qi du cabinet DevolutioN qui signe une exposition-manifeste sur le refus du conformisme dans des bureaux laissés libres et réutilisés tels quels. Une belle découverte.

L’intégralité de cet article est à retrouver dans Fisheye #28, en kiosque et disponible sur Relay.com

 

Image d’ouverture : Landscape #1, Cai Dongdong, 2015

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