La Street tient le haut du pavé

14 juin 2022   •  
Écrit par Eric Karsenty
La Street tient le haut du pavé

Jean-Christophe Béchet est un infatigable photographe marcheur qui arpente les grandes villes du monde depuis plusieurs décennies pour y saisir des moments d’urbanité où l’esprit documentaire cohabite avec une poésie de l’étrange et de l’énigme. La photographie de rue constitue pour lui un genre spécifique, une idée qu’il soumet aux réflexions de Michel Poivert, Jean-Luc Monterosso et Sylvie Hugues dans un ouvrage stimulant. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

Cela faisait une dizaine d’années qu’il y pensait ! Après avoir signé pas mal d’expos et publié de nombreux livres – sans oublier ses articles dans la presse spécialisée –, Jean-Christophe Béchet tente dans un ouvrage publié par les éditions Loco de faire la synthèse de ses réflexions sur la street photography. Il s’appuie sur une sélection d’une centaine de ses clichés réalisés au cours de ses multiples voyages et interroge l’historien de la photo Michel Poivert, le fondateur de la Maison européenne de la photographie (MEP) Jean-Luc Monterosso et la directrice du Festival du Regard Sylvie Hugues – qui est également journaliste et autrice. Macadam Color Street Photo se présente comme un manifeste – en texte et surtout en images – destiné à redonner à la photographie de rue ses lettres de noblesse que d’aucuns semblent lui contester.

© Jean-Christophe Béchet

Mettre en relation corps et décor

Les trois entretiens qui balisent cette réflexion nous invitent à interroger la photographie de rue qui constitue, selon Jean-Christophe Béchet, « le seul genre spécifiquement photographique ». Un genre déconnecté du reportage qui « s’apparente beaucoup plus à une esthétique du flâneur baudelairien », analyse Michel Poivert. L’historien précise par ailleurs : « Je suis assez d’accord pour faire de la photo de rue quelque chose de fondateur pour la modernité photographique qui se repère dans la conjonction de l’invention de l’instantané à la fin du xixe siècle et le développement de l’urbanisme. » De l’être humain à l’être urbain, la street photography met en relation corps et décor, et constitue au fil des images une source documentaire de premier ordre. Une pratique qui « témoigne de l’architecture d’un lieu, d’un mobilier urbain, de publicités, de différents types de comportements émergents, de nouveaux modes de déplacements… » tout en esthétisant son image pour composer un « documentaire poétique, ou lyrique pour reprendre les termes de Walker Evans », poursuit l’auteur.

Poussant son questionnement dans le champ historique, le photographe interroge plusieurs écoles de la photographie de rue : la française, l’américaine et la japonaise. Trois directions que Jean-Luc Monterosso connaît parfaitement, puisque ces trois cultures structurent les collections photographiques de la MEP constituées au fil des acquisitions de l’institution parisienne. « La tradition française me semble davantage dans l’empathie et la poésie. Avec les Américains, on est face à une démarche construite, structurée. Il y a moins d’affects. Quant aux Japonais, je vois un attrait pour les images sombres, souvent dans un noir et blanc contrasté et violent… Peut-être est-ce dû à leur histoire au xxe siècle. » La photographie de rue est aussi un moyen de « sentir l’époque, l’état de la société, sa légèreté ou sa lourdeur, sa naïveté ou son cynisme », explique Jean-Christophe Béchet. Une manière de revenir à l’essentiel, de rester les deux pieds sur terre, au contact du terrain et du macadam. Cette manière de mettre l’humain au centre constitue aussi pour Jean-Luc Monterosso « l’éloge d’une certaine lenteur » qui aboutit à une forme de « contre-culture » – terme qu’emploie également Michel Poivert.

© Jean-Christophe Béchet

Documents poétiques

Loin de vouloir « édicter des règles ni de de m’ériger en juge de ce qui est ou n’est pas de la “street photography”, cette idée de manifeste vient de l’envie de partager mes photos et mes idées avec des personnalités du monde de la photo et de faire naître de ces échanges un manifeste qui précise certains points qui me semblent importants », précise le photographe. S’il soigne la lumière et le cadrage de ses images et essaie de « travailler la couleur comme une matière »,l’auteur prend garde à éviter les pièges du colorisme qui deviendrait un pur exercice de style. Un autre danger que pointe l’auteur dans son entretien avec Sylvie Hugues est la « vision ironique, voire moqueuse » où le photographe se place en surplomb, tout comme les risques d’un graphisme trop présents. « L’esthétique est une porte d’entrée pour aller plus loin », analyse l’auteur qui préfère composer des « documents poétiques ». Des images ouvertes qui n’ont pas de message précis. « Mes photos préférées agissent comme des microfictions : je pars du réel pour le faire “flotter” dans l’imaginaire du spectateur », complète Jean-Christophe Béchet. 

Cette histoire de la street photography est « en plein renouvellement », pour reprendre les termes de Sylvie Hugues. « La photo de rue est en prise directe avec l’époque, ses phobies, ses totems, ses contradictions… il ne faut ni les nier ni les négliger, il faut en jouer. La street photography, c’est aussi un jeu urbain », conclut l’auteur.

Cet article est à retrouver dans Fisheye #53, disponible ici

© Jean-Christophe Béchet

© Jean-Christophe Béchet

© Jean-Christophe Béchet© Jean-Christophe Béchet

© Jean-Christophe Béchet

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