Le quotidien Libération célèbre cette année son 50e anniversaire. L’occasion pour le chef du service photo, Lionel Charrier, de composer, avec sa complice Charlotte Rotman, journaliste, l’album sensible d’un monde en mouvement. Un événement qui s’accompagnera cet été d’une exposition. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Il vient juste d’avoir 50 ans et le quotidien où il est rédac chef photo célèbre son demi-siècle le 18 avril. Un bel alignement des planètes pour Lionel Charrier qui avait depuis longtemps envie de raconter ce qui fait l’originalité de la photo à Libération. Avec la volonté d’identifier le fameux « style Libé », d’analyser son ADN en retraçant la genèse du journal à travers ses relations à la photo et aux photographes. Un projet ambitieux, en veillant à ne pas rester autocentré sur une histoire de journalistes, mais de raconter cinq décennies d’actualités, françaises et internationales, en images (surtout) et en mots. L’Histoire et les histoires derrière les images publiées, avec la parole des photographes et des éditeurs photo comme fil de lecture. Une manière d’entendre la voix off de celles et ceux qui ont réalisé le montage du film que le quotidien a déroulé durant cette période. Un projet colossal qui se concrétise avec un superbe livre dont l’ambition est de constituer pas moins que « l’album d’un monde en mouvement », pour reprendre la formule de Lionel Charrier et de Charlotte Rotman, sa complice et compagne, journaliste à Libé durant une quinzaine d’années, qui cosigne l’ouvrage.
Engagement par l’image
« 50 ans dans l’œil de Libé a été construit avec deux partis pris importants, précise le chef photo. Essayer de montrer comment Libé a traversé ce demi-siècle à travers le regard des photographes avec un découpage en cinq décennies dont chaque séquence donne une large place aux images. Sans oublier le traitement journalistique singulier initié par le quotidien avec un récit qui balise les événements traités, et des légendes qui racontent les coulisses des clichés. L’occasion de donner la parole aux photographes et aux éditeurs photo, qui sont les inventeurs du “style Libé”. » Il faut rappeler qu’à l’origine du journal on trouve l’Agence de presse Libération (APL), dont les journalistes et photographes fournissent la matière première du nouveau quotidien. Nous sommes en 1973, dans le sillage de 1968 et des luttes sociales et sociétales qui irriguent l’époque et orientent la boussole de la ligne éditoriale. L’occupation des usines Lip, les rassemblements du Larzac, l’émergence du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (Mlac), le coup d’État contre la jeune démocratie au Chili, la Révolution des œillets au Portugal, les premières luttes écologiques – marées noires, luttes antinucléaires de Plogoff et Creys-Malville…–, le démantèlement de la sidérurgie en Lorraine… Les combats de Libé alimentent les pages et sont autant d’occasions pour les photographes de participer à cet engagement par leurs images. « Les photographes de cette époque se définissent comme des photographes de presse, des personnes engagées, des militants, mais pas des auteurs, contrairement aux membres de l’agence Viva, créée à la même époque », souligne Lionel Charrier. Le service photo est alors dirigé par Fotolib, émanation directe de l’APL, où l’on retrouve Michel Puech et Francine Bajande, notamment. Des photographes qui ont déjà des regards très affirmés. Mais c’est avec l’arrivée de Christian Caujolle que se construira une vraie politique photo, avec des intentions, et que la notion d’auteur s’affirmera au fil des publications.
Le « style Libé », c’est aussi une certaine insolence, une impertinence qui fait écho au ton des rédacteur·rices du journal. Il faut casser les codes : on photographie les personnalités politiques comme des stars, on coupe des têtes, on décadre, on balance un grand coup de flash sans avoir peur de surexposer son image… Libé devient un laboratoire. On y essaie des choses. Le service photo prend des photographes à contre-emploi : on demande à un portraitiste de partir en reportage et inversement, on expérimente de nouveaux rapports à l’actualité, on reste attentif, inventif, vivant… Et, sans y prendre garde, on imprime l’époque.
50 ans dans l’œil de Libé, Éd. Seuil, 39€, 340 p.
Cet article est à relire en intégralité dans le Fisheye #58.
© Didier Lefèvre / La Contemporaine
À g. © Marie Rouge, à d. © Jacques Torregano
© Guillaume Herbaut / Agence Vu’
Image d’ouverture : © Guillaume Herbaut / Agence Vu’