Mystiques : Bruno Hadjih

24 septembre 2020   •  
Écrit par Eric Karsenty
Mystiques : Bruno Hadjih

La recherche de la
 lumière, cette composante 
à l’origine de la photographie, entraîne parfois les artistes sur des chemins aventureux, à la poursuite de mondes peuplés de chimères et de spectres qu’alimentent des croyances en tout genre. Sur la route des chamanes ou du vaudou, de l’islam
au judaïsme en passant par 
la vie des saints ou
 celles des morts, la douzaine d’auteurs réunis dans ce dossier tentent de se connecter à d’autres univers. Loin des approches documentaires ou journalistiques, ils cherchent à rendre sensibles des mondes invisibles en s’impliquant dans des expériences personnelles. Des incursions troublantes où les vues deviennent visions. Focus sur Bruno Hadjih, et ses cheminements soufis. Cet article est à retrouver dans le dossier de notre dernier numéro.

Tout a commencé avec une panne de voiture, sur les Hauts Plateaux d’Algérie. Bruno Hadjih est alors accueilli par une famille bienveillante, nullement choquée par son athéisme. Il apprendra par la suite qu’ils sont soufis. Le soufisme, cette dimension spirituelle de l’islam, pourrait se résumer par « l’extinction de l’égo dans l’autre, l’autre en l’occurrence est Dieu », schématise le photographe. Une succession de rencontres lors de ses voyages, des confréries du Sahel à Montreuil, l’amène à s’intéresser à cette métaphysique. Une approche documentaire commencée en 24×36 et en noir et blanc, qui rencontre vite ses limites. Un doute qui le conduit à une « halte » pour se consacrer à d’autres sujets. « Cette “halte”, que les soufis nomment “station”, est celle qui permet une remise en question et une introspection du travail. J’ai changé de format dans mon matériel : le 24×36 a été remplacé par le 6×7, le 6×6, et depuis deux ans par le 4×5 inches (10×12,5 cm). Le format est une partie intégrante du processus de maturation. La photographie devient d’abord une construction mentale », explique l’auteur.

© Bruno Hadjih

Faire corps avec l’obscurité

Depuis plus de vingt ans, Bruno Hadjih poursuit cette quête, ce « cheminement dans la lenteur comme on cheminerait dans l’esprit. Avant de préciser : La rapidité d’exécution (bouillonnement) des premiers temps est remplacée par les résonances que les scènes vécues font naître en moi. Décanter les scènes comme on le ferait d’un vin, pour ne garder que le nectar. C’est à ce moment précis que j’ai rencontré enfin la grammaire et le vocabulaire qui accompagneront mon travail. »

Le temps lui a également permis de gagner la confiance de ces milieux discrets, dont les cérémonies se passent dans des lieux clos et obscurs, qui ne laissent passer que de timides rayons de lumière. « Dans le fond de la salle, dans un silence total se tient le préposé à la retraite. À travers ce silence que représente la khalwa [la retraite spirituelle, NDLR], l’image doit faire corps avec cette obscurité et en faire une alliée », poursuit-il. Et si ses premiers étaient en noir et blanc, la couleur s’est imposée par sa signification sur certaines scènes. « Savoir lire une couleur, provoquer certaines dominantes pour entrer en résonance avec mes sentiments. Dans le soufisme, on parle d’énergie, d’aura, de couleurs constituantes. Elles sont ce qui est inaudible et pourtant bruyant, ce qui matérialise l’invisible. Les dominantes représentent ce paroxysme », conclut le photographe, dont le travail est présenté à l’Institut des cultures d’islam, à Paris, dans le cadre de l’exposition Croyances, faire et défaire l’invisible, jusqu’au 27 décembre 2020.

 

Cet article est à retrouver dans Fisheye #43, en kiosque et disponible ici

 

© Bruno Hadjih

© Bruno Hadjih© Bruno Hadjih

© Bruno Hadjih© Bruno Hadjih

© Bruno Hadjih

Explorez
Dans l'œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Ludivine, attente avant la compétition, Championnat de France, Reims, 2022 © Nathalie Champagne
Dans l’œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Nathalie Champagne signe sa première publication aux éditions Photopaper. Figures imposées, figures libres retrace le parcours de...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
© Luc Delahaye
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
Luc Delahaye, ancien grand reporter devenu artiste, transforme le regard documentaire en une méditation silencieuse sur le monde. De ses...
11 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Voyage au centre de la terre brésilienne
Périphérie de São Paulo, 2020 @Vincent Catala
Voyage au centre de la terre brésilienne
Comment représenter un pays de façon juste et nuancée, loin des clichés véhiculés autour de ce dernier ? L’impressionnant Île-Brésil de...
10 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Prix Photographie & Sciences : Julien Lombardi et Richard Pak exposent à la Villa Pérochon
Inframundo, de la série Planeta, 2024 © Julien Lombardi
Prix Photographie & Sciences : Julien Lombardi et Richard Pak exposent à la Villa Pérochon
Du 11 octobre 2025 au 21 février 2026, la Villa Pérochon devient théâtre de sciences, présentant les travaux de Julien Lombardi, lauréat...
10 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Dans l'œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Ludivine, attente avant la compétition, Championnat de France, Reims, 2022 © Nathalie Champagne
Dans l’œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Nathalie Champagne signe sa première publication aux éditions Photopaper. Figures imposées, figures libres retrace le parcours de...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Coups de cœur #562 : Cloé Leservoisier et Geekandstar
Série Where free people meet © Cloé Leservoisier
Coups de cœur #562 : Cloé Leservoisier et Geekandstar
Cloé Leservoisier et Patrick, alias Geekandstar, nos coups de cœur de la semaine, jouent avec les couleurs pour altérer – ou...
13 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les images de la semaine du 6 octobre 2025 : expositions automnales
Éphémère, de la série Deuil blanc © Flore Prébay
Les images de la semaine du 6 octobre 2025 : expositions automnales
C’est l’heure du récap ! À l’approche des vacances de la Toussaint, les pages de Fisheye vous dévoilent de nouvelles expositions à...
12 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
© Luc Delahaye
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
Luc Delahaye, ancien grand reporter devenu artiste, transforme le regard documentaire en une méditation silencieuse sur le monde. De ses...
11 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina