De la réalité à la fiction, de la nostalgie au futurisme, des termes scientifiques à la culture populaire, Sara Sadik, l’artiste bordelaise installée à Marseille est attirée par les contrastes. C’est dans cet équilibre esthétique fascinant qu’elle puise la sève de son art post-internet. Cet article, rédigé par Maxime Delcourt, est à retrouver en intégralité dans notre dernier numéro de Fisheye.
Sara Sadik s’est faite maîtresse d’une puissante singularité esthétique. Aussi distinctes soient-elles, ses différentes œuvres (vidéos, photographies, installations…) rassemblent un même amour déterminé du geste artistique et des valeurs piochées dans les cultures populaires, trop souvent négligées ou invisibilisées par le monde de l’art. Sur Khtobtogone, on l’observe ainsi se réapproprier les codes de GTA V, tandis qu’Ultimate Vatos : force & honneur, l’un de ses derniers projets, puise son récit dans un processus d’écriture fait de collages d’éléments pris dans le rap français (PNL, Booba, Timal), la littérature (Rester barbare de Louisa Yousfi), les slogans extraits des campagnes publicitaires de l’armée de terre ou les devises des légionnaires. Citons également Carnalito Full Option, un jeu télévisé se tenant au stade Vélodrome et mettant en scène cinq jeunes hommes déterminés à relever plusieurs défis en vue d’être élu l’« homme idéal ». « Sara a cette faculté d’utiliser la fiction, voire la science-fiction, pour évoquer des enjeux très contemporains, estime Alix Dionot-Morani, cofondatrice de la galerie Crèvecœur à Paris. Elle n’est jamais dans une forme de littéralité par rapport aux sujets qu’elle explore. Pour cela, elle manipule différentes sources issues des cultures populaires, comme l’argot, le foot, les mangas, la téléréalité… Tout en créant son propre langage à partir de ces codes-là. »
En 2018, en sortant de ses études aux Beaux-Arts de Bordeaux, à une époque où elle écrivait déjà des scripts de vidéo inspirés par son adolescence, Sara Sadik avait trouvé un terme synthétisant sa démarche : le « beurcore ». Une expression représentant la culture de la diaspora maghrébine en France, dont elle a fini par s’éloigner par crainte des étiquettes trop rapides. « Son travail traduit un récit initiatique assez profond, précise Alix Dionot-Morani. Sachant cela, il est logique de la voir évoluer sous nos yeux, prendre des décisions fortes, quitte à mettre de côté des esthétiques privilégiées par le passé.» Pour comprendre cette évolution, il suffit de s’intéresser aux nombreux alter ego qu’elle incarne dans ses vidéos, tel un écho à ces identités multiples créées pour s’adapter à différents contextes sociaux. Parfois féminins (Lazuli, Tchikita), ou masculins (Lyca, Mobalpa, Rakuten), ces doubles étaient à l’origine un moyen de comprendre la personnalité de son petit frère alors en crise post-adolescente. Impuissante face aux enjeux qu’il traversait, Sara Sadik, née d’un père marocain et d’une mère algérienne en périphérie de Bordeaux, voyait dans son travail la possibilité de saisir son comportement, mais aussi, plus largement, de présenter des hommes écartés du corps de la nation, de les faire exister dans le champ de l’art contemporain. «C’est là toute la beauté de son approche, avance Alix Dionot-Morani. Elle s’inspire du docu-fiction tout en se basant sur des concepts venus de la science-fiction : l’anticipation, les mondes parallèles, le clonage, etc. »
Retrouvez cet article dans son intégralité dans le Fisheye #57.
© Sara Sadik