Entre engagement et cinématographie, nos coups de cœur #383, Alan Jeuland et Katalin Kedves, donnent à voir deux univers complètement différents. L’un s’intéresse aux violences policières et l’autre fait de son quotidien un film dramatique.
Alan Jeuland
« J’aurais jamais pensé un jour que je me ferais tirer dans le visage. J’ai grandi en banlieue, ça aurait pu m’arriver. Et là, je vais manifester calmement pour ma grand-mère, pour ma mère. Pour les retraités. Vraiment pacifique, vraiment pas dans la haine du tout. Je me fais tirer dessus »
, confie Vanessa, auxiliaire de vie en gré à gré. Pour Vitalia, photographe, la manifestation reste un traumatisme : « J’ai eu peur de parler au début, tellement ça a été trash. J’ai eu peur des pressions, j’ai vraiment eu l’impression d’échapper au pire », raconte-t-elle. Une anxiété partagée également par Guilhem, étudiant en langue ancienne. « Ils étaient quatre ou cinq sur moi, un à chaque bras, un qui m’étranglait, un qui me rouait de coups et potentiellement un autre avec la grenade. Je fais pas beaucoup plus d’un mètre soixante, je suis petit, moins de 50 kilo. Je ne peux même pas donner mon sang, je suis myope… Je suis pas dangereux, quoi », assène-t-il. « En France, la police enquête sur la police, donc forcément, elle va orienter ses questions de telle sorte qu’on va totalement écarte l’usage de la force disproportionnée et la personne peut même se retrouver mise en cause », révèle l’avocate Claire Dujardin. Dans Contre-coups, Alan Jeuland donne la parole à dix témoins de la violence policière. Victimes comme défenseurs, tous partagent des souvenirs douloureux. De Paris à Toulouse, Marseille ou encore Montpellier, le photographe, ancien étudiant du 75 à Bruxelles, et de l’ENSP d’Arles a choisi de « faire de la photo de manif un peu différente, plus figée, plus calme, en [s]’attardant sur du détail ou du symbole, en faisant gaffe à la lumière, aussi ». Au moyen format, l’auteur s’éloigne des représentations habituelles de ces conflits, pour souligner le drame, le danger, les conséquences de tels actes. Au cœur de la série, se croisent portraits dystopiques des forces de l’ordre, fumigènes menaçants, mutilations et prothèses réparatrices. Un ensemble poignant, faisant résonner la gravité d’un réel banalisé.
© Alan Jeuland
Katalin Kedves
Voitures rétro, champs fleuris, couples mystérieux, scènes nocturnes éclairées par des phares aveuglants… Les images de Katalin Kedves semblent tout droit tirées d’un film. La photographe hongroise de 26 ans s’est d’abord intéressée à la mode, avant de se tourner vers une œuvre plus personnelle. « La pandémie m’a permis d’apprendre à mieux me connaître, et à gagner en maturité », explique-t-elle. Fascinée par le cinéma américain, l’autrice s’attache à reproduire, à travers ses clichés, l’énergie propre au 7e art. « Mes thématiques fétiches ? Les vieilles voitures américaines, les personnages rebelles, les vastes horizons sublimés par la lumière du crépuscule, la transition entre le jour et la nuit… Toutes mes photographies sont liées à la notion de liberté », confie-t-elle. Imaginées en séries, ses créations se lisent comme un étrange roman-photo, relatant une scène sous différents angles, différents points de vue. Au cœur de son compte Instagram, les clichés résonnent, se font échos, se complètent. Comme un leitmotiv s’enrichissant à chaque nouvelle publication. Un concept que Katalin Kedves espère bientôt développer sous la forme d’un livre.
© Katalin Kedves
Image d’ouverture : © Katalin Kedves