Les coups de cœur #399

25 juillet 2022   •  
Écrit par Ana Corderot
Les coups de cœur #399

Etienne Pirat et Thomas Geffrier, nos coups de cœur #399, possèdent une obsession commune pour l’approche systématique des choses. L’un cartographie le paysage via ses bizarreries et ses détails vaporeux, quand l’autre capture autrui et son environnement dans leur authenticité. Une manière de se réapproprier un monde qui nous échappe continuellement.

Etienne Pirat

« Mon travail est un jeu de l’image contre l’image, construit d’indices et de strates. Tout existe d’une manière ou d’une autre, le monde est cartographié et essoré de significations. Alors je m’applique à essayer de faire du “jamais vu”, vainement. L’amas tonitruant de visuels me pousse à l’overdose, et mon besoin de tirer une production personnelle au milieu de tout ce qui existe déjà amène mon déclenchement à la rephotographie et à la réutilisation de ce qui est déjà présent »

, nous conte Etienne Pirat. Diplômé d’un Bachelor en Art option Photographie et Images animées, le jeune artiste construit un univers à la croisée des champs artistiques, où l’iconographie du préexistant devient l’outil premier de création. Dans sa série, Les Curiosités, il a effectué − à l’instar de Simon Vansteenwinckel dans son projet Wuhan Radiography − un travail préliminaire sur Google Street View pour sélectionner des scènes de vie figées. Après de longues pérégrinations virtuelles à travers les villes et les ruelles apatrides, il a fait des rephotographies d’écran de ces moments fugaces où se sont faufilées des bizarreries. « Ce qui me plaît dans Google Earth et dans son mode Street View, c’est le dispositif. Les images sont prises de manière systématique et systémique, ce qui me permet facilement de les détourner puisqu’elles appartiennent davantage à l’archivage qu’à la prise de vue. En me concentrant sur leurs nuances et leurs détails, je laisse alors des indices à celui qui prendra le temps de “regarder pour voir” », ajoute-t-il. Une silhouette fantomatique émanant d’un sol poreux, une table de restaurant esseulée dans l’attente d’un déjeuner… Faites d’anomalies lyriques, ses séries questionnent notre consommation outrancière de l’image et nous prouvent qu’à force de recevoir, on perd l’essence de ce qui est vu. Mais grâce à l’intervention d’Etienne Pirat et à sa permanence du regard sur l’instant présent, le « jamais vu » devient alors celui qu’on n’oubliera jamais.

© Etienne Pirat

© Etienne Pirat
© Etienne Pirat© Etienne Pirat

© Etienne Pirat

© Etienne Pirat

Thomas Geffrier

« J’ai deux axes de travail : l’être et le paraître ainsi que les traces laissées derrière nous. Ces thématiques se sont imposées à moi en raison de ma peur de disparaître et du temps qui passe. Quand je regarde les autres, c’est moi que je regarde. Des questions surgissent alors : qu’est-ce qu’on choisit de montrer de soi ? Qu’est-ce qu’on cache, mais qui se voit quand même ? »

, affirme Thomas Geffrier. Installé dans le monde du 8e art depuis 2003, et fort de collaborations diverses avec des magazines et photographes de renom − comme David LaChapelle, Nadav Kander ou encore Peter Lindbergh −, l’auteur diffuse un style aux frontières des genres. Entre street photography, portraits humanistes et expérimentaux, Thomas Geffrier compte plus d’une trentaine de séries à son actif, retranscrivant tour à tour les contours de sa « propre réalité ». Ne faisant l’objet d’aucune postproduction, ses images révèlent les couleurs et les détails bruts des sujets photographiés, là où la nature des êtres ne peut qu’être dévoilée. À l’occasion des Rencontres d’Arles, il expose, en OFF  du festival, sa série American Color − l’un de ses premiers travaux réalisé aux États-Unis, entre 2000 et 2005. Fruit de voyages successifs, ce projet représente une Amérique sous le regard d’un jeune photographe européen, où les passants, figés sous un même dispositif, posent simplement, tels qu’ils sont, au détour de coins de rue. Vingt-ans après, si son écriture a certes évolué, l’authenticité de son propos ne s’est pas altérée. « Depuis quelques années, je laisse de plus en plus de place à une photographie plasticienne, systématique et répétitive, qui traite de l’individu et ses interactions, entre rôle social et identité », ajoute-t-il. Aujourd’hui, assumant le « caractère subjectif des choix de [ses] modèles », il perpétue sa recherche liminaire d’un miroir de l’âme, niché dans le regard pur d’autrui.

© Thomas Geffrier

© Thomas Geffrier© Thomas Geffrier
© Thomas Geffrier© Thomas Geffrier

© Thomas Geffrier

© Thomas Geffrier

Image d’ouverture © Thomas Geffrier

Explorez
« Chère et tendre IA »… conversation entre l’artiste et la machine
© Rineke Djikstra
« Chère et tendre IA »… conversation entre l’artiste et la machine
Imaginé dans le cadre d’une résidence à la Maison européenne de la photographie (MEP), Photo Against the Machine est un ouvrage...
19 décembre 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Focus : rituels vampiriques, fouilles archéologiques et mélancolie poétique
© Devin Yalkin, Until Dawn.
Focus : rituels vampiriques, fouilles archéologiques et mélancolie poétique
Créé par les équipes de Fisheye, Focus est un format vidéo innovant qui permet de découvrir une série photo en étant guidé·e par la...
18 décembre 2024   •  
16 expositions photos à voir pendant les vacances de Noël
© Ali Kazma / Courtesy Francesca Minini, Milan
16 expositions photos à voir pendant les vacances de Noël
Les fêtes de fin d’année sont souvent l’occasion de passer du temps avec nos proches, de nous reposer et de trouver les nouvelles...
16 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
20 beaux-livres de photographie à (s’)offrir à Noël
Service à bord d’une voiture-restaurant du train Capitole, 1966. © Fonds de dotation Orient Express
20 beaux-livres de photographie à (s’)offrir à Noël
Offrir un ouvrage à Noël est toujours une belle manière d’ouvrir des portes sur de nouveaux mondes. À cet effet, la rédaction...
13 décembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
© Rebecca Najdowski
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye dévoilent une multitude de dialogues initiés par la photographie.
Il y a 6 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger