Holy, le dernier ouvrage de Donna Ferrato, à paraître chez Power House, retrace les évolutions d’une lutte toujours actuelle. Entre intimité et radicalité, la photographe étudie les combats féministes dans toutes leurs constituantes.
« Ce qui fait d’une femme une féministe, c’est le fait de défendre les droits des autres femmes, pas uniquement pour soi-même. Toutes ces femmes blanches qui ont voté pour les républicains [aux élections présidentielles américaines de 2016, NDLR] et donc voté contre les droits des femmes ne sont pas des féministes, quoiqu’elles en pensent. » Ces mots sans équivoque, nous les devons à Donna Ferrato. La photographe américaine a consacré la majeure partie de son œuvre aux différents combats menés par les féministes à travers le monde. Son dernier livre, Holy, est l’occasion de se plonger dans les fruits d’une carrière marquée par un engagement sans faille. Il aura fallu près de quatre années à Donna Ferrato pour concevoir cette rétrospective couvrant cinq décennies de luttes.
Le déclencheur ? Une élection et une voix devenue toxique à nombre de droits élémentaires. Le 8 novembre 2016, le milliardaire Donald Trump, celui qui parlait « d’attraper les femmes par la chatte », accède à la tête des États-Unis. Une journée qui résonne pour beaucoup comme un séisme. C’est le cas de la photographe qui, fidèle à ses convictions, imagine immédiatement une riposte. « J’ai commencé Holy parce que j’étais bouleversée par l’élection de Donald Trump, confie-t-elle. Je ne pouvais pas croire que nous mettions l’avenir de l’Amérique entre les mains d’un homme qui n’avait aucun respect pour les femmes et les personnes de couleur. Je savais que nous entrions dans une période sombre (…) et que les femmes allaient devoir être audacieuses et en colère. »
En colère
C’est en 1981, alors qu’elle travaille sur les couples échangistes de New York pour la version japonaise du magazine Playboy, que la photographe réalise l’urgence de la situation et se radicalise. Pour les besoins de son reportage, elle suit pendant plusieurs semaines Lisa et Garth, un couple échangiste dont elle parvient à partager l’intimité. Un soir, Lisa l’appelle, et Donna vient. Cette nuit-là, elle sera témoin d’un déchaînement de violence qui la marquera à jamais. Garth, dans une rage soudaine, frappe Lisa au visage et tente de l’étrangler. Instinctivement, la photographe se saisit de son appareil et shoote la scène. Elle espère ainsi faire revenir Garth à la raison et stopper ce torrent de coups. « Il a giflé sa femme devant moi, en toute impunité, se souvient-elle. Cela m’a secoué au plus profond de moi. Il pensait vraiment avoir le droit de faire ça. » Ces images, Donna Ferrato les a retenus pour son livre. Puissent-elles, à minima, témoigner de l’horreur.
Donna Ferrato revendique sa colère. Comment ne pas l’être lorsque chaque jour apporte son lot fracassant de drames et d’injustices faites aux femmes ? Comment ne pas l’être quand les confinements successifs font exploser les signalements de violences domestiques ? Comment ne pas l’être lorsque nous débattons de « libération de la parole » alors qu’il suffirait parfois d’écouter ou ne pas feindre de ne pas avoir entendu ? La philosophe Geneviève Fraisse l’a expliqué récemment au micro de France Inter : « Aujourd’hui, on a surtout débouché les oreilles. On parle beaucoup de « libération de la parole », mais il s’agit surtout d’une histoire d’écoute. (…) Une condition principale de la prise de parole, c’est l’indépendance économique. Virginia Woolf parle de « chambre à soi » mais elle ajoute « et 500 livres de rente ». Il faut avoir les moyens de dire “je suis autonome” ».
Le courage
Qu’on ne se méprenne pas, par delà la brutalité, Holy est avant tout un hommage. C’est sans doute pour cela que Donna Ferrato l’a pensé comme une Sainte Trinité. Chapitré en trois parties, Mère, Fille, Autre (comprendre ici tout ce que ce terme a d’unificateur) (Mother, Daughter, Other, NDLR), l’ouvrage salue le courage. En cela, la lecture de cette rétrospective est nécessaire et nous comprenons alors aisément la difficulté que la photographe a eue à rassembler à travers les époques tant d’images puissantes. « Le choix de la sélection finale était pour ce livre essentiel, explique-t-elle. Je voulais exprimer toute la complexité des gens que j’aime. La question était de savoir comment je pouvais amener les spectateurs à partager ma table et honorer les femmes incroyables que j’ai rencontrées sur ma route.»
Plus que tout, Holy distille la confiance que toutes les sociétés modernes comme passées ont insidieusement tenté d’annihiler. Loin d’un soft power revendicatif lâchement évoqué par une frange nocive de nos contemporains, Donna Ferrato offre une vision franche et directe. Quelle en sera l’issue ? La photographe ne le sait pas et pose un regard fait de questionnements. « Suis-je inquiète ? Triste ? Oui. Le non-respect fondamental des droits des femmes doit être un affront à tous. (…) Qu’une femme décide de porter la vie ou non, il m’importe que le système l’appuie dans ses décisions. Il m’importe aussi que ce système permette le viol, l’inceste, les enlèvements et la violence domestique. Je veux créer une alternative . »
Holy, Power House, EYD, 49,95 $, 176 p
© Donna Ferrato