« Tout a commencé dans un marché aux puces new-yorkais. J’ai trouvé cette ancienne photographie de deux femmes assises sur un canapé. Par une opération de collage, quelqu’un avait remplacé leur tête par celles de starlettes des années 1950. Pour je ne sais quelle raison, cette vision m’a donné une vague idée, j’ai écrit trois nouvelles qui ont servi de trame narrative et cela s’est concrétisé ainsi. » C’est en ces quelques phrases que Yelena Yemchuk revient sur la genèse de Mabel, Betty & Bette, un ouvrage étonnant dans lequel de simples perruques suffisent à créer trois personnages identifiables en dépit du fait qu’ils soient incarnés par une cinquantaine de femmes différentes, qui déclinent toutes à leur manière un archétype de la féminité. Derrière cette l’idée se cache une envie de révéler un échantillon des innombrables facettes que peut revêtir une même personnalité selon les contextes.
Une multitude de visages
« Je suis une conteuse d’histoires et j’aime interagir avec les gens. J’adore quand une connexion survient et se transforme en source de création. Plus je photographiais de femmes pour ce projet, plus l’identité de Mabel, Betty et Bette devenait intéressante. Elle évoluait constamment, des couches s’ajoutaient au fur et à mesure », poursuit l’artiste ukrainienne. Inspirée par l’âge d’or hollywoodien et cette conception de la femme idéale portée par le cinéma d’alors, Yelena Yemchuk superpose cette époque lointaine à des espaces contemporains, sauvages ou urbains, qui achèvent de distiller le trouble. « Je voulais créer un endroit où le temps n’existe pas », étaye-t-elle. Ici, les figures féminines agissent « comme un palier entre deux mondes » et cristallisent, en contrepoint, une perte de soi où la vulnérabilité fragile, incombée à la féminité, se heurte à une réelle force de caractère.
Entre les failles jaillit toute l’essence d’un être pluriel dont la crise suscite la curiosité autant qu’elle interroge. Quoique composé d’une multitude de visages, Mabel, Betty et Bette ne forment finalement qu’un seul et même individu, tiraillé par trois images de la féminité auxquelles il essaye de répondre tant bien que mal. « Parfois, nous entrevoyons quelque chose de mystérieux qui est en nous, mais qui ne nous est pas familier pour autant. On ne saurait dire si cela vient de notre passé ou d’un rêve, on se retrouve dans un espace qui a tout l’air d’un autre monde. Je voulais que ces personnages existent dans cette réalité flottante, entre notre conscience et notre subconscient, dans laquelle un nous parallèle se trouve projeté », conclut Yelena Yemchuk.
Mabel, Betty & Bette, Kominek Gallery, 148 pages, 58 €.
© Yelena Yemchuk