Avec Même Soleil, Gaël Bonnefon et Frédéric D. Oberland présentent un dialogue entre image et musique en forme de requiem pour le temps. Avec les éditions IIKKI, le livre et le disque, disponible en pré-commande, propose un travail à six mains en retrait du monde.
« Franchement, je m’en fous des délires poétiques. Je ne délivre aucun message, aucune morale, je n’ai pas de leçon à donner. Nous sommes sous un même axe, dans la transpiration, le ressenti, l’abstraction. » Les mots de Gaël Bonnefon traduisent bien la volonté du projet initié lors de la sortie d’Elegy for the Mundane, le précédent ouvrage de ce dernier édité par La Main Donne. Réalisé par le photographe et le musicien Frédéric D. Oberland, mis en forme par Mathias Van Eecloo, Même Soleil est à la fois un livre et un disque dont la cohérence appartient au spectateur. « Il y a quelque chose dans les images de Gaël qui m’a parlé immédiatement, explique Frédéric D. Oberland. Dès qu’on a eu le feu vert des éditions IIKKI, tout s’est mis en place naturellement. »
À travers un corpus d’images qui retrace plus de dix années de création, Gaël Bonnefon pose un univers pourtant rempli d’immédiateté. Si elles ne cherchent pas le constat ni les émotions faciles, ces photographies sont l’empreinte du réel et d’un concret imaginaire. Une tension presque palpable en émane. Sans chercher l’esquive, il ne participe pas au monde, il le modèle. C’est à prendre ou à laisser. Ce monde, Frédéric D. Oberland l’a parfaitement compris : « Ces paysages irradiés, cette forme d’apocalypse en Technicolor, complètement éclatée, je les ai ressentis comme l’expression de ce que l’on vit. » C’est certain, il y a un sentiment de chute volontaire, de lâcher-prise, mais aussi de renaissance par le feu.
Obscurité lumineuse
Cette obscurité lumineuse et colorée relève de la perte, de l’abandon, d’une vérité dévoyée par un présent trop présent. Une fois la sincérité ringardisée par ceux qui la méprisent, le beau codifié dans l’indifférence générale, une fois qu’on en a fini d’achever les expressions sensibles, Gaël Bonnefon prend place et ne cherche pas le compromis. « Je ne veux pas que les gens se posent des questions devant mon travail, et je n’ai pas envie de justifier les raisons pour lesquelles je fais telle ou telle image. C’est devenu trop facile de produire du discours « un monde onirique, mystérieux, blablabla… », tout le monde fait ça alors qu’il suffit de regarder. » Et effectivement, l’évidence est devant soi, il n’y a pas de faux-semblant dans les artifices de la fabrication de ces images.
Ces vibrations, ces échos à la vie fiévreuse, embrassent parfaitement la musique composée spécialement pour ce projet par Frédéric D. Oberland. « Du côté de Gaël comme du mien, explique-t-il, on ne voulait pas jouer une carte trop sombre. Personnellement, j’ai recherché une forme de fausse sérénité, celle de l’après, lorsque l’alarme a cessé de retentir. » À l’instar des images de Même Soleil où l’on peut se demander « qu’est-ce que je vois ? », il a voulu, par des enchevêtrements de nappes, susciter le doute, poser la question « qu’est-ce que j’entends ? ». Cette mise en abîme plurielle dévoile un continent halluciné. Conçues chez lui, à Paris, mixées au studio MER/NOIR, les compositions de Frédéric D. Oberland fonctionnent comme une résonance spectrale à l’incertitude du lendemain mise en place par Gaël Bonnefon.
Radicalités existentielles
Bien que pouvant être appréciés séparément, le livre et le disque forment l’unité de Même Soleil. Ces dialogues constructifs entre un artiste visuel et un musicien sont l’ADN des éditions IIKKI. L’implication de son co-fondateur Mathias Van Eecloo, son rôle dans la concrétisation de ce projet ont été essentiel. « Mathias a fait le tri, il a servi de garde-fou, mais aussi de vrai déclencheur, pense Gaël Bonnefon. Il travaille de façon très instinctive et rapidement, il a su trouver les articulations qui permettraient la naissance de Même Soleil. » L’originalité de la démarche de l’éditeur donne un souffle nouveau et salvateur au monde du livre photographique et plus généralement à celui de l’art qui manque parfois d’idées neuves.
En cela, Même Soleil est une oeuvre totale laissant s’échapper des horizons où le possible passe encore par l’humain. Où le sang et la chaleur n’ont pas peur de côtoyer la nuit et l’acier, le chimique et l’organique. Par sa puissance, cette effraction intransigeante écrase les prétentions des usurpateurs, d’autoproclamés poètes maudits et autres corrompus du bon goût. Dans toutes ses constituantes, elle est aussi une invitation aux radicalités existentielles. Agir sans feindre. Elle sait que l’impulsivité de la création est une affaire de maîtrise et de hasard. Une ode pour les enfants aux semelles de vent qui n’attendent pas qu’on leur ouvre les portes pour s’enfuir.
Même soleil, en pré-commande aux éditions IIKKI, 58€, 108p. + vinyle
Livre seul, 40€ / Disque seul, 18€
© Gaël Bonnefon