« Même Soleil », par le tranchant de la lumière

10 juin 2021   •  
Écrit par Julien Hory
« Même Soleil », par le tranchant de la lumière

Avec Même Soleil, Gaël Bonnefon et Frédéric D. Oberland présentent un dialogue entre image et musique en forme de requiem pour le temps. Avec les éditions IIKKI, le livre et le disque, disponible en pré-commande, propose un travail à six mains en retrait du monde.

« Franchement, je m’en fous des délires poétiques. Je ne délivre aucun message, aucune morale, je n’ai pas de leçon à donner. Nous sommes sous un même axe, dans la transpiration, le ressenti, l’abstraction. » Les mots de Gaël Bonnefon traduisent bien la volonté du projet initié lors de la sortie d’Elegy for the Mundane, le précédent ouvrage de ce dernier édité par La Main Donne. Réalisé par le photographe et le musicien Frédéric D. Oberland, mis en forme par Mathias Van Eecloo, Même Soleil est à la fois un livre et un disque dont la cohérence appartient au spectateur. « Il y a quelque chose dans les images de Gaël qui m’a parlé immédiatement, explique Frédéric D. Oberland. Dès qu’on a eu le feu vert des éditions IIKKI, tout s’est mis en place naturellement. »

À travers un corpus d’images qui retrace plus de dix années de création, Gaël Bonnefon pose un univers pourtant rempli d’immédiateté. Si elles ne cherchent pas le constat ni les émotions faciles, ces photographies sont l’empreinte du réel et d’un concret imaginaire. Une tension presque palpable en émane. Sans chercher l’esquive, il ne participe pas au monde, il le modèle. C’est à prendre ou à laisser. Ce monde, Frédéric D. Oberland l’a parfaitement compris : « Ces paysages irradiés, cette forme d’apocalypse en Technicolor, complètement éclatée, je les ai ressentis comme l’expression de ce que l’on vit. » C’est certain, il y a un sentiment de chute volontaire, de lâcher-prise, mais aussi de renaissance par le feu.

 

© Gaël Bonnefon

Obscurité lumineuse

Cette obscurité lumineuse et colorée relève de la perte, de l’abandon, d’une vérité dévoyée par un présent trop présent. Une fois la sincérité ringardisée par ceux qui la méprisent, le beau codifié dans l’indifférence générale, une fois qu’on en a fini d’achever les expressions sensibles, Gaël Bonnefon prend place et ne cherche pas le compromis. « Je ne veux pas que les gens se posent des questions devant mon travail, et je n’ai pas envie de justifier les raisons pour lesquelles je fais telle ou telle image. C’est devenu trop facile de produire du discours « un monde onirique, mystérieux, blablabla… », tout le monde fait ça alors qu’il suffit de regarder. » Et effectivement, l’évidence est devant soi, il n’y a pas de faux-semblant dans les artifices de la fabrication de ces images.

Ces vibrations, ces échos à la vie fiévreuse, embrassent parfaitement la musique composée spécialement pour ce projet par Frédéric D. Oberland. « Du côté de Gaël comme du mien, explique-t-il, on ne voulait pas jouer une carte trop sombre. Personnellement, j’ai recherché une forme de fausse sérénité, celle de l’après, lorsque l’alarme a cessé de retentir. » À l’instar des images de Même Soleil où l’on peut se demander « qu’est-ce que je vois ? », il a voulu, par des enchevêtrements de nappes, susciter le doute, poser la question « qu’est-ce que j’entends ? ». Cette mise en abîme plurielle dévoile un continent halluciné. Conçues chez lui, à Paris, mixées au studio MER/NOIR, les compositions de Frédéric D. Oberland fonctionnent comme une résonance spectrale à l’incertitude du lendemain mise en place par Gaël Bonnefon.

© Gaël Bonnefon

Radicalités existentielles

Bien que pouvant être appréciés séparément, le livre et le disque forment l’unité de Même Soleil. Ces dialogues constructifs entre un artiste visuel et un musicien sont l’ADN des éditions IIKKI. L’implication de son co-fondateur Mathias Van Eecloo, son rôle dans la concrétisation de ce projet ont été essentiel. « Mathias a fait le tri, il a servi de garde-fou, mais aussi de vrai déclencheur, pense Gaël Bonnefon. Il travaille de façon très instinctive et rapidement, il a su trouver les articulations qui permettraient la naissance de Même Soleil. » L’originalité de la démarche de l’éditeur donne un souffle nouveau et salvateur au monde du livre photographique et plus généralement à celui de l’art qui manque parfois d’idées neuves.

En cela, Même Soleil est une oeuvre totale laissant s’échapper des horizons où le possible passe encore par l’humain. Où le sang et la chaleur n’ont pas peur de côtoyer la nuit et l’acier, le chimique et l’organique. Par sa puissance, cette effraction intransigeante écrase les prétentions des usurpateurs, d’autoproclamés poètes maudits et autres corrompus du bon goût. Dans toutes ses constituantes, elle est aussi une invitation aux radicalités existentielles. Agir sans feindre. Elle sait que l’impulsivité de la création est une affaire de maîtrise et de hasard. Une ode pour les enfants aux semelles de vent qui n’attendent pas qu’on leur ouvre les portes pour s’enfuir.

Même soleil, en pré-commande aux éditions IIKKI, 58€, 108p. + vinyle

Livre seul, 40€ / Disque seul, 18€

© Gaël Bonnefon

© Gaël Bonnefon© Gaël Bonnefon

© Gaël Bonnefon© Gaël Bonnefon© Gaël Bonnefon© Gaël Bonnefon© Gaël Bonnefon© Gaël Bonnefon

© Gaël Bonnefon

Explorez
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Francesca Todde, IUZZA. Goliarda Sapienza, Fiordo di Furore (SA), house built into the cliff rock, 2024
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Avec IUZZA. Goliarda Sapienza, Francesca Todde propose un livre qui explore l’imaginaire de l’autrice sicilienne, sans chercher à...
À l'instant   •  
Écrit par Milena III
Dans l'œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Ludivine, attente avant la compétition, Championnat de France, Reims, 2022 © Nathalie Champagne
Dans l’œil de Nathalie Champagne : la résilience de Ludivine
Nathalie Champagne signe sa première publication aux éditions Photopaper. Figures imposées, figures libres retrace le parcours de...
13 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
© Luc Delahaye
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
Luc Delahaye, ancien grand reporter devenu artiste, transforme le regard documentaire en une méditation silencieuse sur le monde. De ses...
11 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Voyage au centre de la terre brésilienne
Périphérie de São Paulo, 2020 @Vincent Catala
Voyage au centre de la terre brésilienne
Comment représenter un pays de façon juste et nuancée, loin des clichés véhiculés autour de ce dernier ? L’impressionnant Île-Brésil de...
10 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Francesca Todde, IUZZA. Goliarda Sapienza, Fiordo di Furore (SA), house built into the cliff rock, 2024
Goliarda Sapienza regardée par Francesca Todde
Avec IUZZA. Goliarda Sapienza, Francesca Todde propose un livre qui explore l’imaginaire de l’autrice sicilienne, sans chercher à...
À l'instant   •  
Écrit par Milena III
Festival InCadaqués : les coups de cœur de la rédaction
Hail Mary, bobbin lace, serpent’s thread © Emilia Martin, Special Mention InCadaqués Festival Open Call 2025
Festival InCadaqués : les coups de cœur de la rédaction
La rédaction de Fisheye a déambulé dans les rues idylliques du village de Cadaqués, en Espagne, à l'occasion du Festival Photo...
16 octobre 2025   •  
Planches Contact change de cap
© Lin Zhipeng (alias n°223), Ce qui s’insinue dans les silences, Planches Contact Festival.
Planches Contact change de cap
Du 18 octobre 2025 au 4 janvier 2026, Planches Contact Festival revient à Deauville pour sa 16e édition. Ces derniers mois, les...
16 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
PhotoSaintGermain et a ppr oc he dévoilent une collaboration inédite 
© Julie Cockburn / Courtesy Hopstreet Gallery
PhotoSaintGermain et a ppr oc he dévoilent une collaboration inédite 
Pour leur édition 2025, PhotoSaintGermain et a ppr oc he ont présenté leur programmation lors d’une conférence commune. À cette...
15 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet