Pour réaliser Polar Night, le photographe américain Mark Mahaney a passé douze jours en Alaska, dans une ville plongée dans l’obscurité. Un périple marqué par un froid glacial et une violence insidieuse.
Utqiagvik, la ville la plus septentrionale des États-Unis. Située en Alaska, elle se trouve à environ 550 kilomètres au nord du cercle arctique. Dans cette région, la Nuit polaire dure 65 jours. 65 jours plongés dans les ténèbres, le soleil absent incapable de faire fondre la neige qui s’accumule et crisse sous les pas des rares courageux osant s’aventurer à l’extérieur. Le vent souffle, s’abat sur les corps, et la peau brûle de froid en quelques secondes. C’est dans ce lieu aussi cauchemardesque qu’extraordinaire que Mark Mahaney a réalisé Polar Night, sa toute première monographie.
« Je ressentais à l’époque un grand besoin de construire un projet personnel après avoir passé des années à réaliser des commandes. Alors que je cherchais l’inspiration, j’ai lu, dans un journal, un article dédié à cette ville, qui s’apprêtait à connaître deux mois d’obscurité. J’ai ensuite appris que ce lieu avait été nommé “le point zéro du réchauffement climatique”. J’étais conquis », raconte le photographe. Parti avec l’intention de terminer son projet en une journée, Mark Mahaney comprend rapidement qu’il lui faut s’immerger dans cette atmosphère unique pour mieux lui faire honneur. « J’ai finalement passé douze jours dans cette longue nuit et je suis reparti lorsque le soleil s’est levé », précise-t-il.
Un film noir
Récit glacial, Polar Night illustre un monde mort, figé par la neige, qui engloutit les routes et les maisons. Immaculée, et éclairée par les lumières artificielles des foyers, des phares de voiture, elle devient protagoniste d’un conte terrifiant. Seuls les chiens animent les clichés. Agressifs, ils montrent leurs crocs et s’abandonnent à leurs origines sauvages. En quelques images, Mark Mahaney met en scène un véritable thriller. Dans ce décor sordide digne d’un film noir, les ténèbres révèlent les excès humains. « Le nombre de crimes, la consommation de drogue, et la dépression augmentent rapidement en cette période. C’est dans cette ville que le taux de suicide est le plus élevé, aux États-Unis. Mes images sont le reflet de ce que j’ai ressenti en arrivant dans cet endroit. L’obscurité, les températures brutales, le vent, cette ville qui ressemble à une véritable entité, et l’énergie des gens que j’ai rencontrés m’ont déprimé », confie le photographe.
À Utqiagvik, la noirceur pénètre même les cœurs des hommes. Dans ces terres endormies, la violence est cachée, abritée derrière les murs. Presque irréel, le paysage capturé par Mark Mahaney révèle différents extrêmes – les températures intolérables, et le désespoir des habitants. « Finalement Polar Night est un poème imagé, traitant d’endurance, d’isolation et de survie », conclut l’artiste.
Polar Night, Éditions TRESPASSER, 45€, 52 p.
© Mark Mahaney