Queerness, amour et imperfections : le pays idéal de Rene Matić

20 janvier 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Queerness, amour et imperfections : le pays idéal de Rene Matić

Plongée intime dans le monde de Rene Matić, Flags for countries that don’t exist but bodies that do se lit comme une lettre d’amour à la famille de l’artiste. Une famille choisie, recomposée. Un cercle apaisant, faisant barrage au déclin du reste du monde.

« La photographie m’a toujours intéressé·e, notamment grâce à mon amour de l’archive. En grandissant, j’ai beaucoup dépendu des images pour découvrir le monde, parce que je n’étais pas très doué·e pour la lecture »,

se souvient Rene Matić. C’est un véritable processus immersif que l’artiste débute, à chaque nouvelle réalisation. Une manière unique d’aborder le médium à travers les cinq sens. Né·e à Peterborough, une ville de l’est de l’Angleterre, iel développe aujourd’hui sa pratique à Londres. Le tumulte et la diversité grandiose de la capitale lui permettant de laisser libre cours à son imagination. « Je crois que mon amour pour la recherche vient du 8e art. Parce que je veux entendre les images – je cherche donc leur musique. Puis il me faut les sentir leurs odeurs, leurs sensations, et enfin, pour véritablement plonger dedans, je dois retrouver le contexte politique de l’époque… J’imagine une sorte de frise en 4D dans mon esprit, qui me conduit jusqu’à aujourd’hui – et jusqu’à mon propre boîtier », précise-t-iel.

Poète, écrivain·e, Rene Matić fonctionne à l’instinct, pour capter des scènes touchantes, des émotions palpables. En voyage, en vacances, iel se saisit de son 35 mm comme d’un outil pour le·a « forcer à prêter attention aux choses ». Et, dans l’énergie, dans l’urgence de l’instant, iel shoote. En résultent des fragments de complicité, des échanges émouvants qui, grâce à la photographie, perdurent dans le temps. Une approche qu’iel reproduit dans Flags for countries that don’t exist but bodies that do. Pris au flash, dans un joyeux désordre regroupant soirées entre ami·e·s, moments tendres, et scènes urbaines, les clichés dépeignent une Angleterre aux multiples identités – queer, légère, mais aussi coléreuse et perdue.

© Rene Matić© Rene Matić

Du sens dans la perte de sens

C’est une « non-histoire », que propose Rene Matić à travers son ouvrage. Shootées entre 2018 et 2021, les images imprimées sur les pages ne sont que le reflet de son quotidien, de son affection pour son entourage. « Ce projet a toujours été un “rien”, mais finalement il est devenu quelque chose : de l’amour, oui, une lettre d’amour », confie-t-iel. Trois années de rires, de dialogues, de fêtes… Mais aussi trois ans de doutes, de peur, de rage face aux décisions du gouvernement britannique. Car dans Flags for countries that don’t exist but bodies that do, la dichotomie est criante. Aux clichés de rires, de bonheur, d’exaltation capturés dans l’intimité s’opposent les murs de briques froids des rues londoniennes, les manifestations, les protestations d’une communauté en désaccord avec sa propre nation.

Pourtant, l’auteur·ice se garde de défendre un quelconque engagement. « J’aurais pu dire qu’il s’agissait d’une redéfinition du patriotisme, de la Grande-Bretagne, ou même du fait d’être queer. Mais nos problèmes viennent trop souvent de notre volonté de définir. Mon livre est l’opposé de ce que le terme “définition” évoque », déclare-t-iel. En tournant les pages, le lecteur est alors invité à trouver du sens dans la perte de sens. Ici, une exploration de ce que représente la « famille », celle dans laquelle on naît et celle que l’on choisit. Là, un besoin de redéfinir ce qui compose un pays, et ce que signifie un drapeau : la reconnaissance d’un peuple dans toutes ses nuances, et ses imperfections. « Nous sommes la vérité, c’est ça, un foutu pays ! », assène Rene Matić. Inspiré·e par les portraits alternatifs de Derek Ridgers qui magnifie l’altérité, et l’honnêteté poignante propre à Nan Goldin, l’artiste propose, à travers son ouvrage, de révéler au monde sa propre intimité. Une intimité illustrant une soif de rencontres, d’amour et de revendication. Une soif de refaire le monde, aux premières lueurs du matin, dans la familiarité d’un appartement.

 

Flags for countries that don’t exist but bodies that do, Éditions Arcadia Missa, 20£, 224 p.

© Rene Matić© Rene Matić
© Rene Matić© Rene Matić
© Rene Matić© Rene Matić
© Rene Matić© Rene Matić

© Rene Matić

© Rene Matić© Rene Matić
© Rene Matić© Rene Matić
© Rene Matić© Rene Matić

© Rene Matić

© Rene Matić

Explorez
Flore Prébay : De deuil et de papier
Iceberg, de la série Deuil blanc © Flore Prébay
Flore Prébay : De deuil et de papier
Du 16 octobre au 30 novembre 2025, la Fisheye Gallery présente Deuil blanc, de Flore Prébay, dans le cadre des Rencontres photographiques...
09 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Polaraki : une collection de polaroids d'Araki sort d'un appartement parisien
Sans titre, Araki Nobuyoshi 1990 -2024 © Nobuyoshi Araki © Musée Guimet, Paris, Nicolas Fussler
Polaraki : une collection de polaroids d’Araki sort d’un appartement parisien
Jusqu'au 12 janvier 2026, le musée des arts asiatiques - Guimet accueille une collection foisonnant de polaroids, issue de l’œuvre du...
06 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
© Anna Prudhomme
Les coups de cœur #561 : Julie Brochard et Anna Prudhomme
Julie Brochard et Anna Prudhomme, nos coups de cœur de la semaine, ont puisé l’inspiration dans la maison de leurs grands-parents. La...
06 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
© Nick Prideaux
Grace Land : Nick Prideaux transcrit son expérience de la perte
Dans le cadre d’une résidence artistique à la Maison de la Chapelle, au cœur de la Provence, Nick Prideaux a imaginé Grace Land. À...
04 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
© Luc Delahaye
Jeu de Paume : Luc Delahaye, le monde en suspens
Luc Delahaye, ancien grand reporter devenu artiste, transforme le regard documentaire en une méditation silencieuse sur le monde. De ses...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Costanza Spina
Voyage au centre de la terre brésilienne
Périphérie de São Paulo, 2020 @Vincent Catala
Voyage au centre de la terre brésilienne
Comment représenter un pays de façon juste et nuancée, loin des clichés véhiculés autour de ce dernier ? L’impressionnant Île-Brésil de...
10 octobre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Prix Photographie & Sciences : Julien Lombardi et Richard Pak exposent à la Villa Pérochon
Inframundo, de la série Planeta, 2024 © Julien Lombardi
Prix Photographie & Sciences : Julien Lombardi et Richard Pak exposent à la Villa Pérochon
Du 11 octobre 2025 au 21 février 2026, la Villa Pérochon devient théâtre de sciences, présentant les travaux de Julien Lombardi, lauréat...
10 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
15 séries qui célèbrent l'automne
15 séries qui célèbrent l’automne
Le soleil se fait de plus en plus discret, les feuilles commencent doucement à changer de couleur, quitter sa couette le matin se fait de...
09 octobre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine